Carnet de bord de Raphaëlle
Août 2015
Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...
Guadeloupe (France)
1er août
Rivière salée
Les conditions auraient été parfaites pour une traversée de nuit : la lune est pleine dans un ciel dégagé. De plus, le vent est complètement tombé. Comme nous n’abandonnons pas si facilement, nous visitons la fameuse rivière salée en annexe et de jour.
Deshaies
À cause de la fermeture des ponts (ou plutôt de leur non-ouverture) sur la rivière salée, nous n’avons pas accès aux marinas de Grande-Terre. La seule marina de Basse-Terre ne répond ni à la VHF ni au téléphone. Le niveau de diesel commence à baisser. Il en reste encore plus de la moitié, mais cela commence à nous stresser un peu. Une autre possibilité est de remplir des bidons à la station-service qui est à 5 minutes de marche du quai. Un équipage états-unien à qui nous faisons part de notre frustration propose de nous prêter ses bidons. Ça tombe bien, nous n’en avions pas. Nous arrivons à la station, c’est facile avec des bidons vides. « En panne »... Alors que nous retournons au quai avec nos bidons vides, un local nous demande ce qu’il se passe. C’est un gars qui passe ses journées sur le balcon de sa maison presque en ruine, avec qui nous échangeons de grands bonjours de loin depuis que nous sommes revenus en Guadeloupe. Il nous propose de revenir le lendemain, il trouvera bien un de ses amis pour nous amener à la station suivante à la sortie de la messe. On vous l’a déjà dit souvent : en voilier tout prend du temps, beaucoup de temps, et beaucoup de souplesse. Quand ce n’est pas la météo qui fait changer nos plans, ce sont les ponts et les stations-service en panne.
2 août, Deshaies
Nous allons remercier José pour son aide. Il nous invite à venir boire un verre ce que nous acceptons, en grande partie, pour lui faire plaisir. De l’intérieur, sa maison est tout aussi délabrée que de l’extérieur, mais elle est propre bien qu’il ne semble pas avoir l’eau courante. Il nous explique une histoire de famille compliquée et que c’était la maison de son père. Il semblerait que sa famille possédait une bonne partie du front de mer du bourg de Deshaies. La cuisine, ouverte sur l’océan, est meublée d’une table et de quelques chaises en plastiques dépareillées. Par contre, le petit réfrigérateur est rempli de bière... et de bouteilles de champagne! C’est une offre à laquelle je ne peux pas résister et nous voilà en train de déguster un très bon champagne dans ce décor insolite. Nous avons du mal à faire la part des choses dans le discours de notre hôte. Il dit qu’il ne veut se disputer avec personne, mais il est en conflit avec sa famille, ses voisins, les pêcheurs, son ancien employeur, etc. Il reste ici pour surveiller la maison. Après, quand la succession sera réglée ainsi que son différend avec le Club-Med, il s’achètera un bateau de croisière avec un équipage réduit de trois personnes. Il nous parait peu probable, mais pas impossible qu’il en ait les moyens financiers.
L’examen d’entrée au secondaire, pour la rentrée 2016, est programmé pour le 3 octobre. Il y a probablement un moyen de s’arranger avec l’école pour que Sylvain puisse le passer plus tard, mais, en plein milieu des congés scolaires, nous ne pouvons avoir aucune certitude. L’enjeu du secondaire est trop important pour prendre un risque pour seulement quelques semaines supplémentaires de navigation. Or, il n’est pas envisageable de remonter de Grenada à Saint-Martin au milieu du mois de septembre, la période où il y a plus souvent deux alertes d’ouragan par jour qu’aucune alerte. La meilleure option est donc de remonter dès maintenant à Saint-Martin et d’y faire les dernières réparations. C’est avec regret que nous ferons demi-tour, sans visiter les Grenadines et sans revoir tous les bateaux copains qui sont déjà en sécurité (ou presque) à Grenada, l’ile aux épices.
3 août, Réserve Cousteau
Qui a dit que nous quitterons la Guadeloupe sans visiter son plus fameux parc marin? Jacques-Yves (le commandant, pas le capitaine) y a tourné un de ses films. Une simple suggestion de préservation de sa part a suffi à donner le jour à ce parc, qui a pris son nom. Comme nous sommes hors saison, nous avons la chance d’avoir une des quatre bouées réservées aux bateaux de plaisance (les autres sont réservés aux sorties touristiques de jour). C’est vrai que c’est beau. Je découvre même un ou deux poissons que je n’avais encore jamais croisés. Je nage sans me lasser, je profite de ces derniers moments de calme, malgré le vacarme de ma propre respiration dans le tuba, à regarder les myriades de poissons virevoltants tout autour de moi.
4 août, Grande-Anse
C’est notre dernière journée sur cette ile, que nous devons quitter faute de n’avoir pu trouver une opportunité d’affaire viable. Nous décidons de la passer à la plus belle plage de la Guadeloupe, celle de Grande-Anse. Tous les jours, les enfants nous demandent d’y aller, ce n’est qu’à 20
minutes d’une marche en terrain plat par la route. Aujourd’hui, nous y allons en catamaran. Cette baie est vraiment très belle, la couleur du sable est extraordinaire. Nous avons en plus la surprise de découvrir un fond de coraux intéressants, avec une multitude de poissons multicolores. Sylvain et Gaétan passent la journée à la plage, ils y sont allés avec les kayaks gonflables. Ils sautent, ils roulent, ils se jettent dans les vagues et ils dévalent la pente à qui mieux mieux.
Antigua
5 août, English Harbour
Lors de notre descente, nous avions passé outre Antigua pour deux raisons : nous étions restés plus longtemps que prévu à Saint-Martin et le vent était défavorable. Voilà l’occasion de nous rattraper, nous ne sommes pas pressés. Dans le canal, nous avons la visite d’un cachalot pygmée (merci, Nathlaie, pour l’identification!) qui nous montre sa frimousse puis son souffle à quelques mètres du catamaran. Son passage a été trop bref pour prendre une photo.
Ici, pas de boyboats qui nous accueillent (tant mieux), mais l’ancrage vide est un peu déprimant, cela nous rappelle les Bahamas, à la même période (celle des ouragans). Cette ile était une forteresse pour les Britanniques et n’a subi
l’influence des Français que durant une année, cela se ressent. English Harbour était au centre de sa défense. Le site, en restauration depuis 1950 ans, est superbe. Le parc est désert en cette fin d’après-midi. Nous croisons cependant un pêcheur, qui nous ignore superbement. Espérons qu’il n’est pas représentatif des locaux!
6 août, English Harbour
Les iles se succèdent et ne se ressemble pas tant que ça. Celle-là est franchement différente. La végétation est encore plus sèche qu’à Saint-Martin. Il y a des anses profondes tout autour. L’histoire est omniprésente. Nous discutons avec un pêcheur sympa, qui nous donne des appâts vivants pour Sylvain. Ouf! Nous retrouvons le légendaire accueil des habitants des ex-iles britanniques.
7 août
English Harbour
La pluie me réveille en sursaut. Il faisait si beau hier, que je n’ai pas pris les précautions d’usages avant de me coucher : tous les hublots sont ouverts, sacs et coussins trainent dans le cockpit, le pare-brise n’a pas été zippé. Le réveil est brutal et je ne me sens pas dans mon assiette. Le gruau du déjeuner passe mal. Ici, il n’y a pas de boulangerie qui vendent de la baguette fraiche dès six heures du matin (la France a vraiment de bons côtés). En plus, je suis contrariée par la découverte de charançons dans la réserve sous notre lit. Je vais en avoir pour des heures à tout trier et tout nettoyer. Il y a des jours, comme ça, où je suis de mauvaise humeur... Je ne peux pas toujours être patiente et souriante, j’ai aussi besoin de laisser sortir la boucane de temps en temps. Malgré mes avertissements, Sylvain et Gaétan ne cessent de se disputer, car ils veulent le même crayon à mine pour faire l’école. Je craque et ajourne la session. Pas d’école, pas de tablette. Chacun dans sa cabine.
Comme prévu, nous partons pour visiter la côte est d’Antigua. Cette ile à l’avantage d’offrir de bons ancrages sur toute sa périphérie. Une forte houle nous surprend dès la sortie de la baie. La météo prévoyait une houle d’un mètre vingt, elle en fait plus de deux. Après une heure à se faire balloter dans tous les sens, nous décidons de faire demi-tour et de passer par la côte ouest, sous le vent et sous les vagues. Plus que l’idée de passer trois ou quatre heures de navigation à se faire balloter – contre vents, vagues et courants –, j’ai peur de rester coincé dans la baie par la houle, comme cela nous était arrivé dans le sud des Bahamas. Même la mer est contre moi aujourd’hui.
Jolly Harbour
Cette escale est à l’opposée de la précédente. Ici, il n’y a ni ruines ni bâtisses restaurées. Il y a des maisons de ville en béton, peinte de couleurs pastels, qui s’alignent le long de canaux. La végétation est rare : quelques buissons et palmiers d’ornements. Tout est propre, ordonné, facile d’accès. Il y a même un grand supermarché qui offre tous les produits nord-américains à des prix raisonnables – sauf pour la bière et les sodas, au grand dam de Jacques. Au moins, la marina n’est pas fermée et nous devrions pouvoir faire le plein d’eau demain. Ici, c’est encore la saison sèche. L’onde tropicale qui est en train de nous passer dessus n’apporte que quelques ondées éparses, à peine suffisantes pour dessaler le pont du catamaran.
8 août, Stony Horn (Five Islands)
Le bon côté des mauvaises journées, c’est que la vie semble tellement belle quand tout redevint normal. J’ai bien dormi, je me suis réveillée en douceur. Les gars ont décidé de se rattraper de la veille, le programme scolaire du jour ainsi que celui qui est en retard est expédié en un temps record et dans la bonne humeur.
Jacques a organisé la journée : on passe ici, on s’arrête là pour déjeuner et faire la sieste, puis on visite l’épave et le fort. Ensuite on va là, on se promène en ville et on visite ce fort-ci. Nous passons devant le premier ici, en l’occurrence Stony Horn. « Comme c’est beau! Ça t’ennuie si on s’arrête? J’ai vraiment envie de visiter ces grottes à la nage. » De vraies grosses méduses roses nous attendent dans l’eau, avec de courts filaments. Ce n’est pas vraiment difficile de les contourner, mais cela oblige à regarder devant soi, car elles se promènent juste en dessous de la surface. Or, quand on nage avec masque et tuba, on a plutôt tendance à regarder en dessous de soi. Il faut aussi dire que l’eau est très trouble et que les méduses sont transparentes, nous les découvrons parfois à moins de 20 cm de notre nez, ce qui est quand même stressant. Jacques pousse un premier cri incompréhensible dans son tuba. « Quoi? Qu’est-ce qu’il y a? Je ne vois rien...
– C’est juste un banc de poissons. », précise-t-il après avoir enlevé le tuba. La première grotte est chouette, il y en a d’autres à voir. Nouveau cri de Jacques : « Un requin! Un requin! » Un requin? Quel type de requin??? Ouf, ce n’est qu’un requin nourrice. Ça, je connais, ce n’est pas agressif. Le squale s’éloigne, nous entrons dans la grotte. Jacques pousse un autre cri, paniqué. Je repère de suite l’immense murène verte, qui défend agressivement l’entrée de la grotte et qui n’est pas du tout contente. Elle sort en partie de son trou et claque des dents non loin du talon de Jacques, qui n’a pas de palmes pour une fois. Nous déguerpissons en vitesse, je n’ai même pas pris le temps de la photographier. Bon, cette fois, on rentre. J’ai eu ma dose d’adrénaline pour la matinée et puis c’est l’heure du café.
9 août
Saint John
Nous débarquons à la capitale un dimanche matin à 8 h 30, alors qu’il n’y a aucun super-paquebot de croisière d’amarré et nous nous étonnons de trouver la ville déserte... Il y a encore de nombreuses maisons anciennes, généralement en bois, mais les plus anciennes ont le rez-de-
chaussée en pierre. La cathédrale est en chantier, mais nous n’arrivons pas à déterminer si les travaux sont en cours ou si le tout est abandonné. Petit à petit, les rues s’animent. Les gens – tirées à quatre épingles – sortent de chez eux pour aller à la messe, dans l’une des nombreuses églises.
Great Bird Island
Je n’ai jamais vu le film d’Hitchcock : Les oiseaux. Heureusement. Cette ile ne porte pas son nom par hasard : les oiseaux y sont si nombreux qu’ils en deviennent un peu menaçants. Au sommet de l’ile, les volatils tentent de nous intimider pour que nous éloigner de leur zone de nidification.
Certains volent en piquet et passe à quelques dizaines de centimètres de nos têtes, ce qui est assez impressionnant. Leur vacarme est assourdissant. La vue est... splendide? magnifique? à couper le souffle? Quel descriptif n’ai-je pas trop utilisé depuis le début de ce carnet de bord?
10 août, Green Island
Nous voici enfin au deuxième ilot d’Antigua le plus connu, avec Great Bird Island. Nous avions fait demi-tour lorsque nous étions partis d’English Habour, il y a quelques jours, à cause des conditions de navigation. Au lieu de faire le tour de l’ile dans le sens trigonométrique, nous l’avons fait dans le sens horaire. Nous ne renonçons pas facilement et, cette fois-ci, nous nous étions préparés à affronter la mer. La navigation n’a pas été plaisante, mais supportable.
Comme tout bon spot de kite qui se respecte dans les petites Antilles, la plage exposée au vent est remplie de sargasses. Bon, on a vraiment vu pire. Jacques hésite, mais finit par se lancer et fait une belle cession de kite.
L’après-midi touche à sa fin et j’ai très envie de grimper au sommet de cette petite ile. Cinquante-sept mètres cela peut paraître peu, mais c’est tout de même l’assurance d’une très belle vue sur cette immense baie. Plus nous avançons sur le sentier, plus la faune est hostile. Est-ce bien un sentier que nous suivons? En tout cas, il ne va pas du tout dans la bonne direction et la brousse est vraiment impénétrable. Hors du semblant de sentier, il est impossible de marcher. À son tour, la faune est agressive. Je ne parle pas de l’innocente tortue que les gars ont flattée peu après notre débarquement (ceci dit, il existe des tortues terrestres à la mâchoire si puissante qu’elles peuvent sectionner un doigt), mais des moustiques qui s’abattent sur nous au moindre arrêt et du crabe géant qui ne voulait pas dégager le chemin. Alors que nous venons de faire demi-tour, Sylvain pose son pied à quelque centimètre d’un serpent. Il s’est enfui sans mordre ni donner le moindre signe d’intimidation, Sylvain en est quitte pour une grande frayeur et nous rentrons dare-dare à la plage pour récupérer l’annexe. À l’abri sur le Chantemer, nous contemplant ce petit sommet qui a su nous résister.
11 août, Green Island
Je dépose Jacques sur la petite plage de kite. Il ne peut pas garder l’annexe, car je dois être en mesure d’aller le chercher en cas de pépins. Même si le vent le pousserait vers la terre, le bout de la baie est à plusieurs milles. J’évite de rendre toute seule cette embarcation capricieuse. Je n’ai pas confiance dans le moteur (je n’ai rencontré aucun marin qui avait totalement confiance dans son moteur hors-bord, à cause de l’environnement salin, chaud et humide qui provoque des pannes). Par prudence, j’attends toujours que le moteur ronronne avant de larguer l’amarre. Oui, mais là... Je pars de la plage, donc avec le moteur relevé à cause du manque de profondeur. Je n’ai pas le choix d’attendre que le vent me pousse un peu avant de le plonger dans l’eau et de tirer le démarreur. Le vent me pousse dans la bonne direction et je tire. Je tire. Je tire. Je tire encore une fois... Je vérifie que la sécurité a bien été remise en place, je pompe l’essence, j’essaie avec et sans le starter... Rien à faire. Le vent me pousse rapidement et pas tout à fait dans la direction du catamaran. Je jauge rapidement la situation : il fait beau, il n’y a pas de vagues, Éole m’entraine vers le fond de l’immense lagon (et non vers le large), le coin est loin d’être désert. Je rejette l’idée de sauter à l’eau pour tirer le zodiac en nageant : c’est peu probable que j’y parvienne avec ce vent et, puisqu’il n’y a personne d’autre à bord, je risque d’avoir des difficultés pour remonter. Je fais des signes à Jacques en espérant qu’il demandera à un des autres kiteurs de me chercher avec l’une de leurs embarcations. Au pire, je vais m’échouer sur le banc de coraux un peu plus loin. Ce n’est pas l’idéal, car je n’aurais pas assez de fond pour laisser le moteur dans l’eau, mais je pourrais jeter l’ancre. Je n’ai pas peur, je me demande seulement comment tout cela va finir. Les bouées d’amarrage! Je devrais passer proche de l’une d’elles. De là, je pourrais nager jusqu’au Chantemer et revenir avec un tournevis pour tenter de purger l’essence. Hum... Le vent ne me pousse pas tout à fait dans la bonne direction. Je décroche une rame et me mets à ramer de toutes mes forces. Je n’ai pas le temps d’installer les supports permettant de ramer comme dans une chaloupe. Avec une seule rame, c’est difficile de diriger une telle embarcation, mais il faut simplement que j’arrive à dévier un peu ma course. Tiens, un nageur vient vers moi? C’est le capitaine du bateau amarré en arrière de nous qui vient à mon secours. Au moment où il arrive à ma hauteur, je parviens à attraper le corps-mort (boucle qui dépasse d’une bouée d’amarrage) : la dérive infernale a pris fin. À son tour, Michel tente en vain de démarrer ce fichu moteur. Nous engageons la conversation quand je vois Jacques qui arrive à la nage. Pauvre de lui! Il a nagé une sacrée trotte, car je dérivais rapidement avec ce vent de 15 nœuds. Il monte à bord fatigué, découragé de voir sa séance de kite tomber à l’eau. Dès son troisième essai, le moteur gronde enfin. J’avoue être un peu frustrée... C’est vrai qu’il a des bras vraiment plus longs que les miens ainsi que la force et la rapidité qui vont avec... Nous raccompagnons Michel à son bateau, puis je largue Jacques à proximité de la plage – sans éteindre le moteur – qui surmonte sa fatigue et s’éclate en kite.
En définitive, c’est une belle histoire qui se termine très bien : secourue par deux hommes séduisants, qu’aurais-je pu rêver de mieux? Nous terminons la journée en compagnie de Michel et Virginie, à parler de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Futuna.
Barbuda (Antigua)
12 août, Gravenor Bay
La baie est déserte, ce qui n’a rien de surprenant en pleine saison des ouragans et dans une ile peu peuplée, à l’écart de la route habituelle des navires de plaisance. La plage est bordée de-ci de-là de baraques faites de tôle, aux abords plus ou moins aménagés. De vrais bidonvilles. Est-ce des habitations ou seulement de baraques de pêcheur? Nous marchons sur la plaine déserte ou de nombreuses pistes se croisent. Ce n’est pas difficile de faire un chemin ici, la végétation a du mal à pousser sur ce plateau rocheux. Il suffit probablement qu’une voiture passe deux ou trois fois au même endroit pour que plus rien ne pousse. Nous croisons quelques ânes, une décharge sauvage et, finalement, une voiture. À Spanish Point, nous avons un aperçu sur la côte est, battue par les vagues et inondée de sargasses, inhospitalière.
13 août, Barbuda Harbour et Codrington
Nous débarquons à Barbuda Harbour – le seul port de l’ile – avec l’espoir de trouver un moyen de nous rentre à la ville, à 5 km de là. La seule agglomération se trouve au centre de Barbuda, elle est inaccessible en bateau. Nous commençons à marcher sur la route de
sable surchauffée par le soleil. Des camions circulant à toute vitesse soulèvent une poussière sèche qui nous fait suffoquer. Nous n’avons pas l’ambition de marcher jusqu’à Codrington, seulement jusqu’à la vieille tour un peu plus loin sur la route. Un bus scolaire, vide,
s’arrête à notre hauteur et propose de nous amener en ville. Nous acceptons avec empressement, nous verrons bien pour le retour. Il nous dépose devant le bureau des douanes, pour faire les papiers de sortie d’Antigua. Il faut aussi aller à l’immigration? Pour quitter le territoire? Nous avons le temps et cela nous donnera un objectif à la ballade.
Codrington ne ressemble pas à une ville, ce qui n’est pas surprenant puisque l’ile au complet ne compte que mille-cinq-cents habitants. Il y a des crottins d’ânes partout, heureusement sans odeur, et de nombreux cyclistes. Nous ressortons du bureau d’immigration et
poursuivons notre visite au hasard des rues. Nous croisons deux ou trois minuscules épiceries puis une espèce de bistrot qui offre une promotion sur la bière. Comment résister à une boisson fraiche alors que nous ne sommes partis qu’avec une petite bouteille d’eau? Nous entrons dans une grande pièce bordée de canapés
faits de briques et de brocs et couronnée d’une immense télé à écran plat. Derrière le bar, un unique frigo propose quelques boissons. Une fois désaltérés, nous prenons le chemin du retour, à pied. Une voiture arrivant de derrière nous, Sylvain et Gaétan lèvent le pouce. Elle s’arrête. Surprise! C’est la dame de l’immigration qui va justement au port pour prendre le transbordeur pour Antigua. Nous nous entassons tous les quatre à l’arrière, ils sont déjà trois à l’avant puisqu’elle tient sa petite fille sur les genoux.
Nous sommes partis en espérant trouver le moyen de nous rendre à la ville, en se disant qu’il ne devrait pas y avoir de conséquences si nous ne faisions pas notre sortie officielle. C’est probablement un des apprentissages que j’ai faits durant ce voyage : ne pas tout planifier et faire confiance à la vie et aux hommes. Les formalités n’ont rien couté, mais elles étaient probablement inutiles : nos formulaires ont sans doute rejoint une des nombreuses boites empilées dans un coin du bureau. L’informatisation n’a pas encore gagné cette ile, qui a su résister – jusqu’à présent – au développement du tourisme de masse. Seuls les navigateurs et quelques touristes très très fortunés ont la chance de profiter de ses magnifiques et immenses plages de sable blanc.
14 août, au large de Barbuda
Il est 5 heures, nous voilà partis pour notre dernière grande traversée avec le Chantemer. Ce n’est pas notre première « dernière traversée », c’est vrai. Mais lorsque nous avions rejoint la Guadeloupe, nous pensions que c’était la dernière traversée du voyage. Aujourd’hui notre catamaran est à vendre et nous nous dirigeons vers notre destination finale. Il est 5 heures, le vent et les vagues nous poussent doucement, mais à bonne allure, vers Saint-Barth que nous devrions atteindre dans 12 à 14 heures. Il fait beau. Les vents et les vagues viennent de l’arrière. Que demander de plus pour cette dernière traversée? Des baleines à proximité, des dauphins jouant dans nos étraves, un espadon de deux mètres comme trophée de pêche (le rêve de Sylvain)... Nous nous contenterons d’un petit (et excellent) thon.
Saint-Bathélémy (France)
14 août (suite), Anse du Grand Colombier
Bien sûr, les souvenirs nous assaillent... Les sorties à la plage des Flamands, la grande ballade avec La Smala, le souper d’adieux avec le Jayana et mes pizzas qui n’en finissaient pas de cuire...
Saint-Martin (France)
15 août, Tintamare
Nous avions prévu de contourner Saint-Martin par le sud, le vent en décide autrement. Il souffle du sud-est, donc dans la proue du voilier, ce qui est une allure très lente. Le vent de face? nous nous plaignons. Le vent dans le dos? nous ne sommes pas satisfaits. Mais que faut-il? Un vent de travers... Donc nous piquons un peu plus au nord, nous contournerons l’ile par l’est. Nous croisons l’ile de Tintamare et sa belle plage juste à l’heure du diner et de la sieste. En plus, nous avons pêché deux autres poissons, de quoi faire une dernière fois toutes nos recettes préférées et mettre le reste en conserve pour le ramener à la maison.
Au retour de la baignade, Sylvain nous annonce – un peu paniqué – qu’il n’y a plus d’hélice sur le moteur bâbord. Comme cela parait impossible, malgré notre confiance en ce grand garçon raisonnable, nous allons vérifier par nous même. En effet, l’arbre d’hélice est désespérément vide... À tout hasard, je scrute le fond sableux dans les alentours et je retrouve – c’était inespéré – la pièce voyageuse. Il manque la vis de verrouillage, mais c’est un modèle standard que nous ne devrions pas avoir de mal à trouver. Comme quoi, nous avons de la chance dans notre malheur. Cette dernière panne conforte Jacques dans son envie de se débarrasser du catamaran au plus vite... Du coup, nous décidons de passer la nuit ici, tant pis pour notre retard pour passer la douane.
16 août, baie de Marigot
Le voyage est terminé, une nouvelle aventure commence. D’ores et déjà, je peux dire que ce voyage a été un cheminement extraordinaire, que j’ai vécu des moments forts, des moments inoubliables. Si l’école a été souvent difficile, si j’ai parfois profité de me retrouver seule à bord ou sur mon kayak, être 24 heures sur 24 avec les enfants (ou quasiment) ne m’a pas pesé. Au contraire, j’appréhende la rentrée scolaire. Ne plus être là dès qu’ils ont quelque chose à me montrer ou à me dire, ne plus être la témoin passive de leur complicité et de leur rivalité.
C’est aussi la fin de ce carnet de bord qui représente environ 400 heures de rédaction, de tri de photos, de mise en page, de conception du site web. Ce carnet m’a accompagné tout au long du voyage. À chaque nouvelle aventure, j’analysais déjà ce que je pourrais en dire. C’est un peu comme se promener avec un appareil photo autour du cou et regarder le paysage en se demandant constamment ce que cela donnerait en photo, ce qui est intéressant a viser et comment le cadrer. Certains n’aiment pas ça. Moi, cela m’oblige à être totalement présente dans ce que je vis, dans ce que je vois, et donc ça me permet de profiter pleinement de chaque instant. Je ne sais pas ce que ce récit deviendra, si d’autres que vous le liront pas la suite, si je le relirais moi-même un jour. Ça n’a pas vraiment d’importance.
Merci d’avoir lu tous ces mots, toutes ces phrases, tous ces paragraphes. À votre façon, vous avez ainsi contribué à ce voyage. Quant à nous, nous prévoyons de deux à six semaines pour bichonner le catamaran et pour organiser notre retour à la maison. Il est peu probable que nous rachetions un jour un voilier, mais l’envie de voyager est toujours là. Peut-être dans quelques années, quand Sylvain et Gaétan seront autonomes à leur tour. Nous avons déjà plusieurs idées en tête...
Qu’à votre tour, le vent vous amène où vous en avez envie.
FIN