Alors nous décidons de rentrer à la maison...

Carnet de bord de Raphaëlle

Juillet 2015

Saint Lucia

3 juillet, Rodney Bay

Changement de programme, nous resterons à cet ancrage. La veille, nous sommes arrivés trop tard pour les douanes. Le mouillage à Vieux-Fort est généralement désert et la sécurité n’y est pas assurée. Nous préférons donc apprivoiser Saint Lucia depuis cette baie qui est très fréquentée et qui a bonne réputation : pas de boyboats, quelques vendeurs de fruits pas trop achalants, une marina qui offre des services aux bateaux à l’ancre. Demain, nous irons chercher nos hôtes en bus. C’est une belle expédition en perspective.

4 juillet

La marina nous remet les tarifs officiels des taxis. Ils ont le mérite d’être transparents et de nous épargner de longues négociations. Par contre, ils sont hors de prix. Finalement, c’est la location de voiture qui est le plus économique. Il nous faut une heure trente pour rejoindre l’aéroport international, à l’autre bout de l’ile. Nous avons le plaisir de traverser cette terre en son milieu, puis d’avoir un bel aperçu de la côte est, celle au vent.

Vieux-Fort

C’est sans étonnement que nous trouvons Sam grandi, comme Sylvain et Gaétan. Mais ils sont encore à un âge où les changements physiques sont discrets. Nathalie, elle, n’a pas changé. Nous avions passé pas mal de temps tous les six ensemble dans les mois qui ont précédé notre départ du Québec, nous nous retrouvons comme si cela faisait une semaine – et non un an – que nous nous étions quittés.

5 juillet, Piton-Flore

Nous profitons des trois heures qu’il nous reste avant de rendre la voiture pour visiter l’intérieur des terres. Même loin de la côte, la plupart des maisons semblent assez grandes et bien entretenues. Très peu de maisons abandonnées, aucune épave de voiture sur le bord des routes. Les gens sont souriants et prêts à nous aider. L’ensemble ne donne pas l’impression d’un pays pauvre, du moins en comparaison des autres iles que nous avons visitées (excluant les iles françaises).

En arrivant au pied du sentier du Piton Flore, nous voyons bien le panneau disant qu’il faut demander l’autorisation avant d’entrer dans le parc. Mais nous sommes là pour moins d’une heure et nous n’avons pas de téléphone. Au retour, le garde vient nous cueillir à la voiture. Un peu inquiets, nous le suivons jusqu’à son bureau qui s’avère être une maison d’habitation sans aucune indication. Il ne fait aucune allusion à l’interdiction, mais nous apprend que l’accès est payant. 75 $ US pour trois adultes et trois enfants! Pour moins d’une heure de marche? Nous négocions dur (merci Nathalie) et nous nous en tirons pour 40 $ EC (16 $ US). Jacques et moi trouvons la situation frustrante. Une amende pour avoir bravé l’interdiction de pénétrer dans le parc nous aurait moins choqués qu’un ticket d’entrée non annoncé et réclamé à la sortie.

6 juillet, Rodney Bay

Quatre nuits au même mouillage, c’est trop monotone. Nous déménageons donc... de l’autre côté de la baie. L’idée est de nous rapprocher du fort. Le vent soutenu crée des vaguelettes qui nous trempent lors de la moindre sortie en annexe. Si à ce nouvel emplacement nous ne sommes pas mieux protégés des vaguelettes, le paysage est complètement modifié. Les flamboyants sont en pleine floraison. Les ruines ont peu d’intérêts, mais le site est magnifique.

7 juillet, Marigot Bay

Au bar, nous retrouvons l’équipage au grand complet de Rêve Bleu et d’Imagine. Pour notre part, nous avons laissé les trois garçons devant une assiette bien garnie et un bon film. Nous sommes ici pour l’accès internet : prendre la météo et les courriels, mettre à jour le site. Je n’avais pas envie de gérer les gars et eux ils avaient très envie d’une soirée cinéma.

Les mojitos sont excellents et la musique est bonne. Gaétan nous appelle à la VHF, le film vient de se terminer. « Vous pouvez en regarder un deuxième dès que vous vous serez brossé les dents. » Nous acceptons l’invitation à diner de Nathalie. Nous passons une excellente soirée tous les trois, sans enfants. Merci Nathalie!

8 juillet

Marigot Bay

Nous visitons les installations à terre tandis que les jeunes jouent sur la plage. Marigot ressemble plus à un grand (et luxueux) complexe hôtelier qu’à un village. Par curiosité et en espérant avoir une belle vue sur la baie, nous nous engageons sur la route pentue. Mais quelle est cette délicieuse odeur? Une pâtisserie locale! Ce sont les muffins à la banane, encore dans le four, qui embaume tout le voisinage. Nous achetons du pain, du pouding au pain et d’autres spécialités dont je n’ai pas retenu le nom. Un peu plus loin, un bar nous tend les bras. Ça tombe bien, c’est l’heure de la bière. Nous commandons une Piton – la bière locale – avec sa belle pitoune de carnaval, ces seins dressés devant les deux fameux pitons, site classé de l’UNESCO et emblème de Saint Lucia.

Le temps passe et nous voulons encore faire plusieurs arrêts avant de ramener nos invités à l’aéroport, il est donc temps de partir. Avec le Chantemer, nous allons jusqu’au banc de sable qui s’avance dans la baie. Nos amis de Rêve Bleu et d’Imagine sont là. Nous échangeons de joyeux – et pleins d’émotions – signes d’au revoir. Nous nous sommes déjà dit adieu à plusieurs reprises. Cette fois, c’est la bonne. Je garderais longtemps en tête l’image de mes amis avec les bras en l’air, sur cette belle plage.

Anse La Raye

Par curiosité, nous faisons un petit détour pour visiter cette anse, annoncé comme un bon ancrage. Nous avons décidé de passer la nuit un peu plus au sud où les coraux sont réputés. La baie est remplie de barques de pêcheur, mais aucun voilier de plaisance n’y est amarré. L’ensemble, sous le soleil de cette fin d’après-midi, dégage une ambiance de sérénité. Je n’aurais aucune inquiétude à passer la nuit ici, même en étant le seul à l’ancre.

Anse Cochon

Tiens! Un autre bateau est ancré ici! Comme à l’Anse La Raye, aucun boyboat ne vient à notre rencontre, ce mouillage n’est pas assez fréquenté. Les coraux sont intéressants, sans plus, mais font le bonheur de Nathalie et Sam. Le paysage est charmant, le complexe hôtelier est bien intégré dans le paysage.

9 juillet, Soufrière

La Soufriere. Le pire endroit pour s’ancrer à Saint Lucia, selon de nombreux navigateurs. La place à éviter absolument par ceux qui s’arrêtent malgré tout dans cette ile à la réputation si mauvaise. À peine moins dangereuse que sa voisine du sud : Saint Vincent.

Nous – Jacques, Nathalie et moi –, nous avons décidé de faire confiance à John, le boyboat qui nous a démarchés à Marigot Bay. Arriver ici en pouvant dire que nous avons déjà conclu une entente avec l’un des leurs nous parait une bonne parade. Martin, le fils de John nous accueille dès l’entrée de la baie et nous conduit jusqu’à une bouée au sud, en face du bourg Malgretout. John nous a expliqué que les vols avaient lieu le soir, aux bouées isolées en face de la grotte aux chauves-souris. Nous payons la bouée directement à Martin, il est peu probable qu’un autre percepteur s’amène, car alors John perdrait son excursion du lendemain. Plusieurs embarcations viennent nous voir pour vendre des fruits, des paniers, etc. Deux jeunes garçons arrivent en kayak pour nous demander du Coca-Cola; nous refusons. Pour la première fois, on nous demande directement de l’argent. C’est vrai que nous sommes un peu plus sollicités qu’à Marigot Bay ou à Rodney Bay, mais les gens restent gentils et courtois. Ils sont parfois un peu insistants, mais ils ne montrent aucune agressivité.

Si la baie et les pitons sont impressionnants, la ville offre peu d’intérêts. Les conversations cessent à notre passage. Un mendiant se fait littéralement taper sur les doigts par une policière. Jacques et Nathalie ne se sentent pas à l’aise, mais pas moi. Nous continuons notre exploration vers Malgretout. La rue est animée, il y a beaucoup d’enfants. Les gens sont souriants et disent bonjour. Jacques se fait demander de l’argent à plusieurs reprises, mais nous, les femmes, ne nous faisons pas achaler. Sam fait un tabac avec son chandail de Messi, le joueur vedette de l’équipe de foot (soccer) de Barcelona. Le foot est le langage universel dès qu’on sort de l’Amérique du Nord. Nous croisons John, qui à l’air surpris et contant de nous voir dans son quartier. Nous déduisons que les habitants du coin surveillent les environs pour protéger leur économie locale. C’est pour ça qu’il faut s’amarrer au sud et non au nord de la baie.

 

 

 

Nous allons tout de même voir la grotte et les fonds marins, mais en annexe. Ça vaut vraiment la peine! C’est dommage que quelques individus aient réussi à ternir à ce point la réputation de ce coin de l’ile et à en fragiliser l’économie. Le web2 permet l’échange d’informations entre individus en très peu de temps. C’est un outil important, mais qu’il faut utiliser avec prudence et discernement, comme tout le reste du net. Si Nathalie ne nous avait pas donné rendez-vous dans cette très belle ile, nous serions peut-être allés tout droit nous aussi, et ça aurait été bien dommage.

10 juillet, Soufrière

Sulfur Springs

À l’heure convenue, John vient nous chercher avec son « Water Taxi » pour nous amener à Sulfur Springs. Le site est impressionnant, bien que géographiquement limité. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous promener entre les marmites du diable et nous devons nous contenter de regarder l’ensemble de loin. Le tout bouillonne et des volutes de vapeur vont et viennent. De la boue grisâtre coule autour de roches allant du jaune au vert.

Au départ, je n’étais pas vraiment emballée par l’idée de nous enduire de boue, toute bénéfique qu’elle soit. En guise de boue, il s’agit d’argile très fine et très douce au toucher. Comme elle est tiède, la séance à quelque chose de très voluptueux. Nous nous rinçons ensuite dans le bain chaud. Nous avons bien fait de suivre les recommandations de notre chauffeur et de venir tôt – nous étions sur le site avant l’heure officielle d’ouverture – car une horde de touristes débarque. Comme nous avons amplement profité de cette thalassothérapie en milieu naturel, nous leur laissons la place.

Jalousie Falls

Pour la deuxième partie du programme, nous avions demandé à visiter des chutes dans lesquelles il est possible de se baigner. L’environnement est un peu trop bétonné à mon goût, mais la température idéale de l’eau me fait bien vite oublier les imperfections de l’environnement. Pour nous qui vivons sur un voilier depuis plus d’un an, rester aussi longtemps que nous le voulons sous une douche tiède est un véritable luxe dont nous apprécions toute la valeur.

Anse des Pitons

Pour la nuit, nous nous ancrons dans la fameuse Anse des Pitons. Le paysage est saisissant, il mérite sans aucun doute le titre de 28e site mondial de l’UNESCO. Pour clore cette magnifique journée, le ciel dégagé de nuage et de brume de sable nous offre un coucher de soleil que nous admirons depuis le hamac.

11 juillet, Vieux-Fort

Nous voici enfin à Vieux-Fort, à la fin de notre parcours à Saint Lucia. Ce fut une bonne idée de commencer par le nord et non le contraire. Petit à petit, cette ile nous a apprivoisés et c’est sans aucune appréhension que nous nous ancrons dans la baie, seul bateau de plaisance. Au port, nous demandons à un bateau local si nous pouvons laisser notre annexe. Il nous répond de ne pas nous en faire, qu’il veillera dessus. Il ne demande aucune contrepartie financière et nous ne lui en donnons pas.

Que ce soit dans la grande rue pleine de passant ou de marchands ambulants, ou dans les petites rues aux maisons délabrées, nous avons moins l’impression de déranger qu’à Souffrière. Les gens nous sourient et disent bonjour, il n’y a pas de mendiants. Vieux-Fort est à la fois cosmopolite et ignorée par les touristes, ce qui rend l’ambiance particulièrement légère pour nous.

Au port, Nathalie engage la conversation avec un pêcheur. Il insiste pour que nous mangions la carangue qu’il fait cuire sur un feu de bois. Le poisson, dépiauté et mangé avec nos doigts, est un délice, fumé à point.

12 juillet, Vieux-Fort

Notre dernière ballade n’est pas la plus réussie : je pensais traverser la forêt dans un parc, nous nous retrouvons sur le bord d’une route surchauffée, dans un paysage herbeux offrant peu d’ombre, et à l’abri du vent. En plus, le phare n’est même pas beau. En revanche, le site offre de splendides paysages sur les baies, même les pitons sont visibles dans le fond. À l’extrémité de l’ile, un fort vent nous rafraichit avant notre descente sur la route encore plus surchauffée, nous approchons de la mi-journée. Au moins, nous descendons au lieu de descendre...

Pour nos hôtes, c’est l’heure de débarquer une dernière fois. Un taxi les attend pour les amener à l’aéroport, à quelques kilomètres du port. Nous retrouvons le Chantemer étrangement calme. Nous avons passé une excellente semaine sur cette belle ile, accueillante malgré les rumeurs. Mais un bateau, même un catamaran avec quatre cabines, c’est un espace de vie restreint. Nous avons hâte de retrouver notre routine à quatre.

La traversée commence très bien avec le vent et les vagues dans le dos. Il fait un soleil magnifique. Soudain, j’entends quelque chose cogner sous la coque. Bien vite, il nous parait évident que nous avons accroché une des nombreuses bouées de casier à langouste qui pullulent. Les cannes à pêche et les voiles sont vite rentrées, le voilier immobilisé. Les vagues ne sont pas hautes, mais la houle est rapprochée. Jacques étant le meilleur au contrôle des moteurs, c’est à moi de plonger. J’enfile mon gilet de sauvetage et mon masque. Bon, ça ne devrait pas être trop difficile de dégager la corde de l’hélice. Les moteurs étaient éteints, donc le nœud n’est pas trop serré. Mais pour couper ce cordage, il faut que j’enlève le gilet de sauvetage, ce que je fais avec une certaine crainte. Sylvain et Gaétan sont là, prêts à agir en cas de besoin. Comme prévu, tout est dégagé rapidement et je remonte enfin à bord. Nous pouvons repartir.

Martinique (France)

13 juillet, Le Marin

Nous voici de retour au Marin, pour finir l’installation des nouveaux haubans. Ouf! Les pièces sont arrivées. Vous ne pouvez pas les poser demain? Encore un jour férié? Ha bon, c’est la fête nationale française. Peut-être vendredi??? En insistant un peu, ils nous demandent de revenir le 15 juillet. En attendant, nous allons retrouver la sympathique baie de Sainte-Anne.

14 juillet, Sainte-Anne

Nous avons passé la plus grande partie de la journée d’hier à naviguer avant de nous occuper des douanes, de la lessive, de courir après les réparateurs... Aujourd’hui : plage. Au secours! On dirait le bord de la Méditerranée, en France, en juillet! Bon, d’accord. Nous sommes en France et c’est le 14 juillet. Sauf qu’ici, les gens sont encore plus bronzés que les vacanciers en métropole. Il y a trop de monde pour moi, et pas assez de place sur la plage pour notre annexe, qui parait bien grande tout à coup. Le temps que les gars engloutissent la crème glacée promise et nous rentrons sur le Chantemer.


15 juillet, Le Marin

Nous y voilà. Nous sommes à quai, à l’atelier. Pièces et techniciens y sont également. Cette saga absurde va prendre fin. Nous allons payer la balance de la facture et, enfin, clore le dossier. Le patron nous apprend alors que le coût des coquilles n’était pas inclus dans l’estimation de prix, mais qu’il est généreux puisqu’il ne nous fait pas payer les heures en plus pour les remplacer. Trop, c’est trop. À l’origine, c’est eux qui ont oublié de les commander, ces fameuses pièces. Dès le début, il avait été convenu qu’elles devaient être remplacées. Non, ce n’est pas nous qui avons demandé les 36 changements lors de l’estimation, mais eux qui ont accumulé les erreurs, dont la disparition des coquilles de la liste des pièces. Nous pouvons comprendre les contretemps, mais c’est à lui de gérer ses fournisseurs, pas à nous. Il ne manquerait plus qu’il nous fasse payer le port, voire les deux ports puisque les premières pièces reçus n’étaient pas les bonnes. Oui, il s’est démené pour nous trouver les pièces introuvables et nous l’en remercions. Mais pour le reste, ce n’est pas un cadeau. À cette heure-ci, nous devions être en Guadeloupe, pas au sud de la Martinique... C’est dommage. Nous nous étions résignés à notre sort, accepté le « pas de chance » dont nous sommes victimes depuis le début de cette réparation, mais quelques phrases mal placées ont fait ressurgir tout notre ressentiment envers Caraïbes Grément. Ce n’est pas un manque de compétence, mais un manque de sérieux et de service à la clientèle. Je suis contre la maxime « Le client est roi », mais aussi contre les fournisseurs qui pensent que nous avons besoin d’eux, qu’ils nous font une fleur en nous faisant bénéficier de leurs services, que nous n’avons qu’à attendre notre tour, comme dans la salle d’un médecin (cela dit, il me semble que les médecins seraient gagnants en nous considérants comme des clients et non comme des patients – dans tous les sens du terme).

16 juillet, Le Marin

Le moteur bâbord est réparé. Les vibrations étaient dues à une pale de l’hélice qui se bloquait et les problèmes de démarrage aux trois bougies de préchauffage qui étaient brulées. Enfin, nous pouvons quitter Le Marin. Je ne pense pas que nous y retournerons un jour, ou alors il faudrait que nous soyons vraiment mal pris. L’ancrage est bondé en plus d’être difficile par sa profondeur et sa mauvaise tenue. C’est dans un couloir de vent et de pluie. Par contre, nous avons aimé Sainte-Anne. Nous y avons d’excellents souvenirs avec La Smala et Rêve Bleu.

17 juillet, Saint-Pierre

Nous voilà de retour à Sant-Pierre, au pied de la Montagne Pelée. J’ai hâte d’avancer dans la faisabilité de la construction d’un gite en Guadeloupe. De savoir si c’est possible où si nous rentrons au Québec. J’aime l’aventure, mais pas l’incertitude. Si notre projet ne se concrétise pas, je suis prête à rentrer au Québec. La venue de Nathalie et Sam a ravivé mon attachement à ce bout de pays, m’a rappelé que j’y ai des amis – en plus de mes enfants – et que j’y aurais toujours ma place.

Dominica

18 juillet

Je tiens à vivre pleinement ces deux dernières journées de navigation. Au lieu d’en profiter pour mettre à jour mon carnet de bord, je reste à côté de Jacques, sur le fameux siège du capitaine. Je regarde la mer, je guette les poissons, les oiseaux, les dauphins, les sargasses... J’aime la mer, j’aime la voile. J’aime surtout habiter sur un bateau, et cet aspect-là pourrait encore durer encore quelques semaines ou quelques mois.

Guadeloupe (France)

19 juillet, Deshaies

C’est avec émotion que nous retrouvons Deshaies, un de nos ancrages préférés. Le voyage est-il terminé? Nous l’espérons. Combien de temps nous reste-t-il à vivre sur le bateau? Certainement des mois...

Du 20 au 24 juillet

Depuis le départ, j’ai tenu bon pour écrire sur chacune des journées de ce voyage. Toutefois, cette semaine nous n’étions pas en voyage, mais en démarches professionnelles. Décrire nos multiples visites de terrains, nos rencontres avec architectes et constructeurs, les appels téléphoniques aux administrations susceptibles de nous fournir accompagnement ou subventions n’apportera rien dans ce récit. Autant le premier gite auquel nous nous sommes intéressés à Saint-Martin a suscité beaucoup d’émotion et de questionnement, autant les démarches de cette semaine ont été administratives. Toutes les réponses vont dans la même direction : construire un gite en Guadeloupe est très cher et non rentable.

25 juillet, Deshaies

C’est samedi, relâche pour tous. Sylvain et Gaétan partent en kayak pour jouer sur la plage. Par curiosité plus que par inquiétude, je les surveille aux jumelles. Tiens, ils se sont fait un ami! Il le ramène en kayak pour lui faire visiter le Chantemer. Thomas, 10 ans, et si poli et bien élevé que nous décidons d’inviter toute la famille à diner. Ils acceptent. Nous parlons beaucoup de la Guadeloupe, mais aussi de la métropole et du Québec. David nous apprend qu’il y a différents réseaux, difficilement évitables dans certains domaines. À l’entendre, la Guadeloupe est quand même loin de la mafia qui règne au Québec, il s’agit plus de réseaux d’affaires que d’enveloppes brunes. Tout de même, cette nouvelle s’ajoute à la liste des points négatifs pour s’installer en affaire ici. La journée passe si vite que nous décidons de nous donner rendez-vous dans quelques jours.

26 juillet, Chutes du Carbet

C’est un des endroits les plus visités de la Basse-Terre, et nous n’y étions pas encore allés. Comme toujours, je retrouve avec bonheur la forêt humide, même si je dégouline autant que les arbres. Avec ce taux d’humidité et à l’abri du vent, la sueur s’accumule et ne s’évapore pas. Le sentier alterne entre un ponton de bois, un passage abrupt, un goulet entre les arbres ou encore un passage à guet. Le sol est parfois boueux, souvent traversé par des rus. La saison des pluies a bel et bien commencé ici, le sol est nettement plus détrempé que lors de notre précédent séjour, en mai dernier.


27 juillet

Deshaies

Pour clore l’exercice de faisabilité, je passe les derniers appels pour les subventions. En résumé, pour acheter ou construire un complexe comprenant une petite habitation et six gites, il faut investir plus d’un million d’euros. Compte tenu des tarifs et du remplissage saisonnier, c’est la taille minimum pour espérer dégager un revenu annuel de 30 000 euros nets. C’est donc un placement qui rapporterait 3 % et qui demanderait de travailler sept jours par semaine les trois mois de haute saison, sans pour autant être en vacances les autres mois. Les subventions peuvent aider à augmenter la rentabilité, mais le processus total prend environ trois ans, durant lesquels nous n’aurions ni revenus ni logement.

Acomat

Nous profitons de la dernière journée de location de la voiture pour visiter le saut d’Acomat, une chute pas très loin d’ici. Nous sommes passé un grand nombre de fois devant le panneau, il est temps d’y faire un détour. De nombreuses personnes sont sur le site : noirs et blancs, jeunes et vieux, touristes et locaux. Après avoir exploré le bassin à la nage et vu plusieurs enfants sauter, nous autorisons Sylvain et Gaétan à sauter à leur tour malgré les panneaux d’interdiction et de mises en garde. Nous jouissons de l’eau juste fraiche comme il faut, mais aussi de l’ambiance de vacances et de bonne humeur.


28 juillet, Deshaies

Nous renonçons à notre projet. Il s’agit bien ici d’une renonciation et non d’un abandon. Nous voulions nous lancer dans une nouvelle affaire professionnelle avec des critères précis – en particulier une certaine qualité de vie – qui ne sont pas atteignables. Tout ce temps passé en visites, rendez-vous et calculs n’aura pas été vain. Plus nous avancions dans les difficultés pour construire un gite, plus l’envie de revenir au Québec grandissait. Nous refermons doucement cette porte derrière nous en contemplant l’avenir.

Nous étions partis pour un ou deux ans, avec l’option de ne pas revenir. Nous abandonnons cette option. Pour une deuxième année de navigation, il y avait beaucoup de si :

Quant à moi, cette façon de voyager me convient et m’apporte beaucoup. J’arrive à passer outre les contraintes et à profiter de la grande majorité des instants vécus. Si ça ne dépendait que de moi, je mettrais dans cette aventure toutes nos économies. L’école à bord? C’est un des points les plus difficiles, mais, avec le retour dans une école conventionnelle, il faudra quand même gérer les devoirs et, en plus, préparer les lunchs... Mais je ne suis pas seule. D’ailleurs, si je l’étais je ne serais certainement pas en train de faire un tel voyage : c’est Jacques qui en est l’instigateur et c’est grâce à lui que nous avons pu économiser les fonds nécessaires. Mes grands enfants? La première raison qui me donne envie de rentrer.

Ce choix entraine la mise en vente du Chantemer, ce qui me fait un gros pincement au cœur. Le plus logique est de le laisser à Saint-Martin qui est facilement accessible depuis l’Europe, les É.-U. et le Canada. Comme rien ne presse, nous décidons de visiter le sud des Antilles puis d’attendre la fin de la grosse saison des ouragans à Grenada avant de revenir à Saint-Martin.

29 juillet

Deshaies

Sur l’écran, une tache jaune s’allonge en direction du centre des Antilles, donc de la Guadeloupe. La probabilité qu’un ouragan se forme n’est que de 10 % dans les cinq prochains jours, mais les conditions laissent penser qu’il pourrait se développer plus tard. Plus le développement est lent, plus il y a de chances que ça reste une tempête tropicale. C’est notre première alerte d’ouragan pour cette saison, la tension commence à monter.

Adieu Deshaies, adieu la baguette fraiche au déjeuner. Nous nous étions accrochés à cette bouée en espérant y rester jusqu’à ce qu’un ouragan nous en chasse, nous le quittons seulement 10 jours plus tard. Si le mauvais temps se précise, nous irons nous mettre à l’abri à la marina de Pointe-à-Pitre avant de descendre vers le sud, sous des latitudes moins exposées.

Grand cul-de-sac marin

Les conditions de navigation sont mauvaises : nous sommes face au vent et au courant. Nous pensions que nous serions relativement à l’abri de la houle, il n’en est rien. Nous ne nous étions pas préparés à ces conditions, ni mentalement ni dans le rangement du bateau. Nous perdons un cordage, que j’avais négligemment laissé séché sur le trampoline. Puis c’est un des kayaks gonflables qui s’envole. Je convaincs Jacques de retourner le chercher, ils servent souvent en ce moment. Au deuxième tour, nous parvenons à l’attraper avec la gaffe et à le remonter à bord. Nous n’avons toujours pas eu le courage de faire un exercice de personne à la mer, mais nous avons acquis beaucoup d’expérience dans la récupération d’objets plus ou moins flottants et jamais coopératifs.

Les hauts fonds ne nous permettent pas d’ancrer aussi près de l’ilet Fajou que nous le voulions, mais peut-être que nous ne sommes pas à la bonne place. Nous sommes protégés de la houle du large, du fort vent né un clapot, mais il est perpendiculaire au catamaran et donc nous ne le sentons presque pas. Comme l’ilet est plat, rien ne fait obstacle au vent qui souffle de façon continue, et donc de façon agréable. À l’ombre des iles, le vent s’engouffre par rafale, provoquant un coup de bélier sur le bateau et augmentant brutalement le bruit des éoliennes. Ici, tout est calme, reposant. Nous sommes enfin seuls et nous en profitons pour nous baigner nus et rester nus à bord, ce qui ne nous était pas arrivé depuis fort longtemps.

30 juillet, Grand cul-de-sac marin

Nous avons rendez-vous avec Thomas et sa famille, rencontrés à Deshais quelques jours plus tôt. Nous les appelons tôt pour confirmer l’heure de leur arrivée, et surtout pour le demander de consulter la météo pour nous. David a imprimé les cartes : la dépression sous surveillance prend de la vigueur. La tache est encore jaune, mais la probabilité est montée à 30 % et elle se dirige toujours sur nous. Comme il reste encore plusieurs jours avant la tempête et que nous avons réservé notre place à la marina, juste de l’autre côté de la rivière salée, nous profitons de la journée sans nous soucier du lendemain. Les discussions vont bon train, les quatre enfants jouent très bien ensemble.

J’essaie le hamac aquatique que je viens d’acheter et dont je rêvais depuis des mois : il y a un peu trop de clapots, mais c’est vraiment agréable. David nous amène faire un tour sur son bateau. S’il n’est pas beaucoup plus grand que notre annexe, il est infiniment plus confortable et plus puissant. Puis vient le moment de se quitter. Nous ne nous verrons vraisemblablement plus jamais et c’est un peu triste. Il y a des gens comme ça que nous ne faisons que croiser alors qu’on a l’impression d’avoir tant de choses à partager.

31 juillet, Grand cul-de-sac marin

Bonne nouvelle : le risque que la dépression que nous surveillons devienne un ouragan est repassé à 10 %. Mauvaise nouvelle : les ponts sur la Rivière salée, qui sépare les deux iles principales de la Guadeloupe : Grande-Terre et Basse-Terre, sont en réfection et n’ouvre plus (depuis déjà quelques années). Du coup, notre projet de rallier Gosier au petit matin (le pont était censé ouvrir à 4 h 30) est tombé à l’eau, de même que celui d’aller jusqu’à Saint-François pour retrouver le Bachata puis de visiter Marie-Galante. Merci, David, de nous avoir téléphoné pour nous donner toutes ces nouvelles. Bon, il faut revoir nos plans pour les jours à venir...

Puisque notre installation en Guadeloupe est définitivement abandonnée, nous reprenons l’école afin de finir le programme 2014-2015. Nous ne ferons que l’essentiel pour ces quelques semaines qu’il reste. Sylvain est soulagé, il vivait mal d’être en retard pour l’école, mais Gaétan s’en serait bien passé. Contre mauvaise fortune bon cœur, soulagé par l’abandon de certains exercices (dictée, multiplications, etc.), la session se passe relativement bien.

Bien que le cul-de-sac marin n’ait pas plus de sorties que le cul d’un sac, nous nous aventurons dans son fond. Nous avons du mal à trouver la passe, les deux cartes électroniques dont nous disposons sont complètement fausses. Après quelques changements de cap et sans avoir accroché le fond, nous arrivons enfin à l’entrée de la Grande Rivière Goyave, mais nous ne parvenons pas à nous ancrer. Le fond vaseux n’offre aucune tenue. Nous allons donc jusqu’à Baie-Maheu et ferons le chemin inverse en annexe pour visiter cette belle rivière qui commence dans la mangrove pour finir bordée de champs cultivés.