Carnet de bord de Raphaëlle
Mai 2015
Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...
Saint-Martin (France et Hollande) (suite)
1er mai, Marigot
La brume qui sévit depuis plusieurs jours, et rend l’air encore plus étouffant, est en fait du sable du Sahara porté par le vent. J’avais du mal à le croire jusqu’à ce que j’entende le bulletin de Météo France. Hélas, le nuage commence à retomber et le pont du catamaran est recouvert de poussière qui s’est agglutinée dans les pas mouillés des enfants qui ont largement profité de tout l’espace offert par le Chantemer. Pauvre Jacques, je suis trop occupée avec l’école et mes pots mason pour l’aider à tout frotter...
2 mai
Tintamarre
Non, cette ile n’est pas bruyante. Il parait que ce nom veut dire « Eau claire ». Elle est effectivement claire, ce qui permet de bien voir les tortues qui nagent tranquillement. La plage, magnifique, est
couverte d’un sable particulièrement fin. Une drôle de grotte, quelques vestiges humains et des arbres rabougris contribuent à donner l’impression que nous sommes hors du temps. Lors de notre premier tour de Saint-Martin, nous avions négligé cette ile. C’était une erreur.
Oyster Pond
Les appartements de la Villa Najro sont modestes, avec de petites chambres, mais astucieusement dispersés autour de la bâtisse, offrant ainsi une grande intimité à chaque unité. La vue sur l’Étang aux huitres et Saint-Barth est saisissante, malgré l’hôtel qui ferme la baie, du côté hollandais. C’est certain qu’elle nous plait et correspond à nos attentes, je n’ai même pas besoin de corroborer mes impressions à celles de Jacques. La soirée avec Bernard et ses associés, Joyce et Robert, est plaisante. Le couscous est excellent, le planteur et le bon vin coulent à flots. La nuit s’annonce difficile après tous ces excès. Au moment de se quitter, nous annonçons à Bernard que nous pourrions être intéressés par son affaire. Le moment de surprise passé, nous prenons rendez-vous pour le lendemain matin afin d’en parler plus en détail.
3 mai, Oyster Pond
Nous profitons du calme plat de la baie pour faire quelques travaux de réparation. Jacques a trouvé par où l’eau rentre lorsque nous prenons les vagues par bâbord : le passe-coque pour l’évent/trop-plein de la cuve des eaux noires n’est plus étanche. Les Leopards sont des catamarans qui offrent une grande accessibilité pour la maintenance et les réparations, ça reste un bateau et la grande accessibilité est toute relative. Un coup le bras au fond d’un trou au-dessus de la toilette, un coup par dehors depuis l’annexe instable et poussée par le vent, Jacques arrive à tout démonter, à nettoyer, à calfeutrer, à remonter le tube incriminé. Il ne reste plus que le problème de la toilette électrique, installée depuis peu dans notre salle de bain, à régler : l’eau monte petit à petit jusqu’au ras bord. C’est très désagréable de mettre les fesses dans l’eau de mer lors d’un pipi nocturne...
4 mai, Marigot
Nous nous sommes ancrés à proximité de la sortie du lagon à Philipsburg. Quelques minutes d’annexe à plein régime nous amènent au pied du pont central. Nous arrivons à Bellevue sans avoir trouvé le bureau que nous cherchions, encore un mauvais tour de Google Map... Le bureau a déménagé! Rendez-vous est pris pour l’après-midi. Il ne reste plus qu’à faire le chemin du retour, le long de cette longue route passante et en plein soleil... Pour économiser notre capacité à supporter les jérémiades des enfants, nous prenons le bus. Le retour nous parait bien rapide.
La conclusion de la courtière hypothécaire nous contrarie. Il faut absolument passer par la création d’une société si nous voulons faire un prêt hypothécaire pour acheter la villa de Bernard, puisque nous ne pouvons justifier d’aucun revenu, mais que l’affaire s’autofinancera. Se relancer dans une SARL, les déclarations de toute sorte, l’URSAFF pour les salariés, les prélèvements sociaux sur tout... Les frais de mutations sont exorbitants, la liste des documents à fournir est interminable... La paperasserie est un des aspects qui nous a fait fuir l’Europe, nous y replongerions? Pas sûre d’en avoir le courage.
5 mai, Marigot
La nuit porte-t-elle conseil? Je ne sais pas. En tout cas, elle permet de décanter les informations reçues, ainsi que les sentiments. Acheter et exploiter la Villa Najro par l’entremise d’une société a aussi son lot d’avantages : nous permettre de justifier d’un revenu (il le faut bien), se verser un salaire (pour l’assurance maladie), revendre plus facilement l’affaire le jour où nous voudrons passer à autre chose ou, plus vraisemblablement, aller voir ailleurs. La prochaine étape est donc une consultation avec un expert-comptable, pour voir comment on peut minimiser l’impact fiscal, si lourd en France.
Où est ce fichu téléphone? Acheté neuf la semaine précédente, parce que tous les autres étaient barrés par l’opérateur du pays où nous les avions achetés (Québec, États-Unis, Bahamas, Puerto-Rico). En plus, notre internet ne fonctionne plus non plus. Heureusement, nous ne sommes pas un jour férié. Avant d’acheter un nouveau téléphone, une nouvelle carte SIM et une nouvelle carte prépayée, Jacques vérifie – une fois de plus – son sac de kite. Miracle, il est là!
6 mai, Marigot
Nouveau matin et nouvelles certitudes. Depuis le début, je souhaite que l’achat de cette villa aboutisse. C’est idéal pour Jacques et un bon plan pour moi, pour ne pas retomber dans le métro-boulot-dodo (à condition que la rentabilité soit au rendez-vous) et pour être présent auprès de mes futurs ados. Cependant, je suis profondément attachée au Québec, qui m’a tant apporté sur le développement personnel. Cela fait des années que nous clamons que nous ne sommes pas réinsérables en France métropolitaine, sera-ce vraiment plus supportable ici? Nous sommes satisfaits d’avoir retiré Malika et Martin du système scolaire français – je suis la première à défendre la valeur de l’éducation québécoise, malgré quelques failles – et nous voulons plonger Sylvain et Gaétan dans ce système que nous avons tant critiqué? Tout choix à un prix, la vie n’est qu’une succession de compromis. Ce choix-là résulte donc d’une logique familiale et professionnelle. Ce n’est pas un choix personnel.
Bien entendu, avec des « si » on referait le monde. Mais si je n’avais pas été avec Jacques, je n’aurais jamais entrepris ce voyage. Ce n’est pas tous les jours facile, y compris dans nos relations de couple, y compris dans la proximité avec les enfants, mais je suis tellement contente d’avoir entrepris ce voyage, autant sur la mer qu’en moi-même. Merci, mon tendre amoureux, c’est grâce à toi si je suis ici.
Nouvelles étapes dans l’étude de faisabilité de notre projet : l’évaluation par un expert et les renseignements sur l’école. Les écoles, puisque Sylvain à l’âge de rentrer en 6e, soit la première année (sur quatre) du secondaire en France. Nous trouvons assez facilement le « Bureau des écoles », Marigot est un village (avec les embouteillages d’une capitale, mais comme nous circulons à pied...). La fonctionnaire revêche nous écoute à peine et nous donne la longue liste des pièces à fournir. L’évaluation des niveaux se fera par un examen à la rentrée, ce qui aurait été le cas même avec un bulletin scolaire du Québec. Le carnet de vaccination? Ils ne seront pas pris à l’école si leur vaccination n’est pas à jour??? La France, seul pays du monde où le vaccin contre la tuberculose est obligatoire, j’avais également oublié ce détail-là. À l’époque, mon médecin homéopathe refusait de faire ce vaccin à Malika et Martin, en son âme et conscience de médecin, et nous faisait un certificat médical de complaisance chaque année. Avant même de savoir si l’achat se fera, deux aspects de la France nous tombent dessus, me donnant l’envie de fuir cette administration : le dédain de beaucoup de fonctionnaires envers le public qu’ils sont sensés servir et la vaccination obligatoire, au mépris du libre choix des parents.
Je me sens épuisée. Il y a moins de quatre jours, nous annoncions à Bernard notre intérêt pour sa villa. Quatre jours de visites, de consultations, de calculs, de discussions incessantes entre nous.
7 mai, Marigot
Plus dure est la chute. Je fais de nouvelles simulations pour le financement de la villa, en entrant les données fiscales du comptable. Tout à coup, ça ne fonctionne plus. C’est le trou assuré. Je tourne et retourne les chiffres dans tous les sens, aucune solution viable n’apparait. Dans le cas d’une société anonyme simplifiée, il faut rémunérer le PDG pour un minimum de 24 heures par semaine au salaire minimum. De cette charge financière pour l’entreprise, plus de 40 % vont directement au fisc, sans compter l’impôt sur le revenu. Dans le cas d’une société à risque limité, il y a des charges salariales à payer même en l’absence de rémunération et de bénéfice. Ensuite, le moindre profit est soumis aux prélèvements sociaux. La bureaucratie française et la pression fiscale, qui nous apparaissaient ces derniers jours comme des irritants que nous saurions supporter, viennent de nous rattraper, et même de largement nous dépasser. Cette affaire n’en est pas une, du moins pour nous, et nous continuerons notre chemin en ayant perdu toute illusion de pouvoir un jour faire des affaires sur le sol français, même outre-mer. Bien sûr, nous sommes déçus. Bien sûr, cette perspective rejoignait plusieurs de nos rêves et de nos valeurs. Dans cette histoire, nous n’avons perdu que quelques jours et certaines illusions, c’est finalement bien peu.
Saint-Barthélémy (France)
8 mai, Ile Fourchue
En passant devant Oyster Pond – pour la troisième et dernière fois depuis notre arrivée à Saint-Martin – je ressens un pincement au cœur. La page est bel et bien tournée. Finalement, j’ai la même capacité à fermer les portes qu’à les défoncer. Notre marathon d’affaires est terminé, il est temps de nous reconcentrer sur notre voyage et sur les enfants, négligés ces derniers jours.
L’ile Fourchue est remarquable. Elle ne doit pas être bien verte en temps normal, mais, avec la sécheresse qui sévit cette année, elle apparait comme essentiellement minérale. Les dénivelés sont d’autant plus remarquables que l’ile est petite. Jacques et moi voulons marcher vers le sud-est, pour voir Saint-Bathélémy, toute proche. Les gars veulent s’attaquer au plus haut sommet, un pic rocheux un peu impressionnant pour mon cœur de mère, qui balance entre la fierté de voir ses enfants indépendants et la peur qu’ils se fassent mal. C’est ma confiance en eux qui gagne, nos chemins se séparent donc. Les voir grimper de loin est encore plus épeurants. En cas de problèmes, ils peuvent nous appeler sur les walkies-talkies. Serions-nous en mesure de les aider? Si je leur ai fait confiance, c’est parce que je sais qu’ils sont prudents et aussi que, dans ce genre de situation, ils s’entraident au lieu de se chicaner. Comme de fait, nous nous retrouvons tous les quatre un peu plus tard, sans même une égratignure.
9 mai, Baie du Colombier
Nous avons de la chance, il reste une bouée de libre entre le Jayana et La Smala. Nous profitons de ce que les gars jouent avec Camille et Alice pour nous promener en amoureux. S’il y a bien quelques maisons accrochées aux collines, les routes sont discrètes et les gros complexes sont inexistants. Nous trouvons un chemin qui monte, monte, monte. À plusieurs reprises, je suis tentée d’abandonner et de me contenter des jolis points de vue qui jalonnent le sentier. Arrivée sur la route, je suis frustrée. Quoi? Être si près de ces beaux rochers et ne pas pouvoir y grimper? Ça ne se peut pas, il doit y avoir un chemin. Ah, le voilà, il longe la barrière de cette maison relativement modeste malgré son implantation spectaculaire.
Le soleil est bas sur l’horizon. Les grottes, à l’abri du vent et emplies d’une douce chaleur qui rayonne de la roche, sont si invitantes que j’ai envie de chercher les sacs de couchage pour y passer la nuit. Bon, nous n’avons pas de sacs de couchage et ça monte bien trop pour Sylvain et Gaétan – je ne supporterais pas leurs râlements –, mais c’est beau de rêver.
10 mai, Flamands
Nous avons rendez-vous avec les familles de La Smala et du Jayana pour une sortie à la plage. Gaétan dit qu’il veut faire l’école, mais fait tout pour ne pas la faire. Bon gré mal gré, l’école se termine à l’heure prévue. Au moment de partir, Gaétan refuse de venir avec nous. Que se passe-t-il? Lui qui adore aller à la plage, et avec des amis en plus? De force, nous le débarquons sur la rive. Il est dans un tel état de colère que j’en suis toute bouleversée. De désespoir, il rentre à la nage au catamaran, à bonne distance. Nous le surveillons de loin et, une fois qu’il est en sécurité, nous partons – sans lui – à la magnifique plage de Flamands, à deux kilomètres de là.
11 mai, Gustavia
Notre maison n’est toujours pas relouée. Nos deux mousses n’ont visiblement pas le même enthousiasme que Camille et Alice quant à vivre sur un voilier, les difficultés rencontrées par Martin m’affectent. Jacques retombe dans l’ennui et la morosité. Rentrons. Vendons le bateau et rentrons. Continuer ce voyage dans ces conditions ne rime pas à grand-chose. À moi aussi, ce voyage a apporté son lot de déception, mais il m’apporte également beaucoup. Oui, je suis prête à rentrer, comme je l’étais hier à continuer. Je trouve tout de même dommage de ne pas profiter jusqu’au bout de cette occasion de voyager, qui ne reviendra probablement pas. Mais si c’est mieux pour les autres, je suis prête à y renoncer.
12 mai, baie du Colombier
– Que faites-vous aujourd’hui?
– Pour l’instant, c’est l’école. On verra pour la suite.
– Nous, nous avons prévu de faire une grande marche jusqu’à la plage de Saint-Jean, à 5 km. En route, on s’arrêtera voir les avions atterrir à l’aéroport et au Super-U pour acheter un piquenique.
– Je veux y aller!
– Avec plaisir, Sylvain, et le reste de la famille?
– On en discute et on vous rappelle.
– La Smala, La Smala, ici Chantemer.
– Alors, qu’avez-vous décidé?
– On vient avec vous. Pourrons-nous déposer nos ordinateurs et tablettes sur votre bateau?
– Bien sûr, mais pourquoi?
– Gaétan ne veut pas venir et nous n’avons pas confiance en lui.
– Hein? Il ne veut pas venir??? Les filles vont être super déçues. Mais pourquoi?
– Je ne sais pas, demande-le-lui.
– Gaétan, pourquoi ne veux-tu pas venir?
– Ben, je ne sais pas... Bon d’accord, je viens.
Hors VHF : « Je ne savais pas quoi lui répondre, alors c’était plus facile de dire oui. » C’est beaucoup plus difficile de dire non à un autre adulte qu’à ses propres parents...
13 mai, baie du Colombier
La mer est encore forte, avec des creux de plus de deux mètres, mais les vents sont favorables. Nous partons ce soir. Puisque le temps passe si vite, puisque la saison des ouragans ne sera pas retardée pour nous accommoder, puisque la suite de notre voyage est en suspens, nous avons décidé d’aller d’une traite jusqu’à la Guadeloupe. Nous raterons plusieurs iles. Nous avons fait le choix d’en voir moins, mais mieux. Nous dinons une dernière fois avec l’équipage du Jayana, sur leur bateau. Nos routes se séparent ici. Eux vont vers l’Europe, nous continuons vers le sud des Antilles. Nous avons eu la bonne surprise de les trouver à Saint-Barth, nous les pensions à Anguilla. La vie nous a donc fait le plaisir de les croiser une dernière fois.
Guadeloupe (France)
14 mai
Au large de Montserrat
C’est une malédiction, il n’y a presque pas de lune. Juste une espèce de cil, à peine un peu plus gros que lors de la traversée depuis les Iles Vierges. Disons, un cil avec du mascara. Peu importe. Malgré la forte houle, je n’ai pas peu du noir. D’ailleurs, il ne fait pas tout à fait noir. Il y a les lumières des iles au loin, celles des étoiles au-dessus de nous, et celles des particules biophosphorescentes tout autour du Chantemer. J’aime naviguer de nuit. Comme le vent vient de bâbord, le siège du capitaine est assez bien abrité. Nous avons réduit la voilure, le vent nous pousse parfois à 9,3 nœuds pour une vitesse moyenne de 8,4 nœuds. En navigation de nuit, le plus dur n’est pas de veiller, mais de dormir malgré les bruits du bateau et ses mouvements.
Deshaies, Basse-Terre
Nous pensions voir cette ile, la plus haute des petites Antilles, depuis le lever du jour, il n’en est rien. La brume du Sahara est toujours présente, bouchant l’horizon. Une grosse averse juste devant la Guadeloupe nous en cache les côtes, presque jusqu’à l’arrivée. Nous traverserons la fin du grain, même pas de quoi rincer correctement le catamaran. La dernière pluie remonte à une éternité... Deshaie est un joli village touristique, mais tout est fermé. C’est encore un jour férié en France : le jeudi de l’ascension. Après les 1er et 8 mai, c’est donc le 3e jour férié du mois de mai. Il me semble qu’il y a encore un lundi quelque part... Que les boutiques et les restaurants soient fermés ne nous empêche pas de savourer le paysage, et surtout la végétation : enfin du vert!
15 mai, Deshaies, Basse-Terre
Nous sommes impressionnés par la qualité des documentations touristiques qui nous sont données par la préposée du Syndicat d’initiative (bureau d’informations touristiques). J’ai déjà hâte de découvrir les deux iles principales et de parcourir les nombreux sentiers (appelés traces), surtout celle menant au sommet du volcan.
16 mai, Grande-Terre
Puisque nous avons loué une voiture, nous devons la rentabiliser. La course commence, direction Grande Terre. C’est grand, la terre... À Saint-Anne, nous prenons une bonne bière pression, avant de nous apercevoir que nos voisins de tables sont les occupants d’un magnifique grand voilier arrivé ce matin dans la baie de Deshaies. Ils étaient au loueur de voitures en même temps que nous.
Le spot de kite est presque désert. Nous discutons avec quelques jeunes, noirs et blancs, qui ont vainement tenté de faire lever leur kite, il n’y a pas assez de vent. Nous jasons aussi un peu avec une Française, fraichement débarquée de la métropole, qui ne comprenait pas comment je pouvais être aussi bronzée après seulement deux jours en Guadeloupe. Saint-Anne est réputée pour ses plages, mais, cette année, les sargasses – ces fichues algues flottantes qui se prennent toujours dans nos lignes de pêche – ont littéralement envahi les plages de la Guadeloupe. Ce n’est pas beau, C’est dégoutant à marcher dedans pour rejoindre la mer et ça put à cause de la décomposition. De toute façon, Saint-Anne est trop plate et trop touristique à mon goût.
Il est 16 heures et nous ne sommes même pas à la pointe est de l’ile. À Saint-François, nous bifurquons au nord, vers Le Moule, où nous visitons le magnifique site de la Porte d’enfer. Sur le retour, Morne-À-l’Eau ressemble à une ville sinistrée. La plupart des maisons ne sont pas
entretenues, certaines sont complètement en ruine. Je n’aime pas les cimetières ici, avec leurs mausolées si rapprochés qu’on dirait des HLM. Celui-ci, avec ses carreaux noirs et blancs, est encore plus sinistre que les autres
17 mai, Basse-Terre
La Soufrière
La première partie de la randonnée traverse la forêt humide tropicale. La végétation est encore plus époustouflante qu’à Puerto-Rico. Tiens donc! Voici la Française rencontrée la veille au spot de kite! Nous croisons aussi d’autres navigateurs ancrés à Deshaies. La Guadeloupe n’est pas si grande, après tout. D’un seul coup, la végétation change et les arbres disparaissent. Nous sommes à la limite basse du nuage. D
es volutes nous envahissent puis libèrent furtivement la vue jusqu’à la mer. C’est étrange, envoutant, excitant. Le chemin devient une étroite coulée creusée par les pieds des randonneurs et les pluies tropicales. Il est difficile de se croiser et encore plus de doubler. La végétation évolue, encore plus basse, avec des fougères et des mousses ainsi que des fleurs improbables visitées des petits papillons.
Enfin, le sommet! Un vent glacial souffle en rafale, nos cheveux dégoulinent d’humidité. C’est grandiose, indescriptible. Le brouillard épais et changeant ajoute encore à l’étrangeté du paysage.
Soudain, nous voyons le premier cratère. Une épaisse fumée sulfureuse en sort. Nous descendons dans une espèce de cratère bouché pour déjeuner. Le vent y est affaibli, l’herbe n’est pas trop humide, le sol est plutôt tiède. Ce n’est pas l’aire de piquenique idéale, mais c’est supportable. Ah, voici le « chemin interdit » dont nous a parlé une locale au début de notre randonnée. Nous découvrons des fumeroles de toutes tailles, certaines sont réduites à une simple fente qui nous envoie des bouffées de chaleur bienfaisantes et nauséabondes. Le cratère sud fait un bruit assourdissant, tel un réacteur d’avion.
Nous terminons la ballade au Bain jaune pour nous délasser les muscles dans une eau tiède. Nous discutons avec d’autres navigateurs et des locaux dans une ambiance de détente, entourée par la forêt tropicale et le chant des oiseaux.
Basse Terre
Pour rentrer à Deshaies, nous décidons de continuer le tour de l’ile. Nous adorons la côte ouest et sud. Par contre, la côte est bordée d’une grande plaine nous séduit moins. Nous nous baignons au spot de surf pour débutants, dans des vagues impressionnantes, mais finalement peu puissantes. Il semble que nous soyons les seuls touristes sur cette plage de sable noir. Suprême luxe, il y a une douche de plage! Nous terminons notre périple par la splendide route de la traversée.
18 mai, Basse-Terre
Parc des Mamelles, route de la Traversée
C’est le cadeau de Gaétan pour ses 10 ans : un tour d’arbre-en-arbre et de tyroliennes. Bien sûr, Sylvain en profite également. Comme il faut un adulte pour les accompagner, c’est moi qui suis désignée. Et puis zut, nous n’en sommes plus à 20 euros près, Jacques nous accompagne aussi. Après un mini-parcours d’initiation, nous partons tous les quatre, sans accompagnateurs. Les tyroliennes sont impressionnantes, même si les premières sont courtes. Sylvain n’est vraiment pas rassuré. Gaétan se débrouille comme un chef malgré sa taille parfois limite. Jacques est débordé, c’est lui qui passe le premier et nous photographie – il n’a pas le temps de se poser la question s’il a le vertige ou non. Petit à petit, le sol s’incline, les arbres sont de plus en plus hauts, mais nous ne descendons que très peu. Nous sommes donc rapidement à une hauteur appréciable. De tyrolienne en tyrolienne, nous prenons tous de l’assurance. La seule activité à laquelle je ne me fais pas, c’est de marcher sur un câble en me tenant au câble supérieur. Avec ma petite taille, la position – bras tendu au-dessus de ma tête – est inconfortable. Mais comment font les gars? Gaétan, carrément trop petit, se tient aux accroches de son harnais et affiche un grand sourire. Sylvain, sur la pointe des pieds, avance aussi vite que moi.
Nous voici maintenant au dernier parcours, celui pour les 10 ans et plus. Les tyroliennes sont tellement longues, que nous ne voyons pas l’arrivée. C’est à mon tour de passer la première. Tout excitée, je me lâche et je prends rapidement de la vitesse. Mon pied heurte une branche, ce qui me fait faire un demi-tour. Ah, je suis dos à l’arrivée!!! J’arrive à me retourner à temps et j’atterris sans encombre. J’ai eu peur et mes jambes tremblent un peu. À mi-parcours, Jacques me passe l’appareil photo. Je me lance – avec de moins en moins d’appréhension – sur le plus long câble. En freinant un peu, j’arrive à ne pas me retourner. Zut, j’ai trop freiné. Je me suis arrêtée avant la fin... J’arrive à me bloquer avant de revenir en arrière (le câble remonte sur la fin). Je me tire à la force des poignets, ce n’est pas facile. Bon, je prépare l’appareil photo pour le suivant. Mais... ma poche est vide... Oh non! J’ai perdu l’appareil!!! « Maman, je l’ai vu tombé lorsque tu es partie. » Merci Sylvain. Au moins, il n’est pas au milieu de la jungle, nous avons une chance de le retrouver, mais il faut d’abord finir le parcours. Gaétan est ravi par son cadeau. Les gars ont aussi appris à passer par dessus leur peur, sans compter la belle leçon de sécurité qu’ils ont eue.
Après le zoo, nous allons nous baigner à la Cascade aux écrevisses. De loin, elle n’est pas très impressionnante, la puissance du flot ne permet pourtant pas de rester dessous. L’eau n’est pas très froide, mais les gars n’ont pas envie de se baigner, ce qui me surprend. Fatigués? Après la Soufrière la veille, l’arbre-en-arbre ce matin et le zoo cet après-midi, il y a de quoi.
Thomas, commune de Bouillante
Imaginez un spa naturel, tapissé de doux gravier rond et ouvert sur la mer. De l’eau chaude sort dans notre dos, une vague un peu plus forte apporte de temps en temps de l’eau froide. Ce bain chaud naturel a la réputation de tout guérir. À cette heure tardive, il est plein, essentiellement par des locaux. Blancs et noirs se côtoient de la façon la plus naturelle. Depuis notre arrivée, nous n’avons ressenti aucun racisme. Les groupes et les couples sont très mixtes. Comme nous sommes arrivés les derniers, nous sommes à l’entrée
du bain et l’eau est un peu froide. Je repère un trou vers le fond et je m’y glisse. Le sosie de Robert Charlebois – sauf qu’il a la peau noire – me conseille de me méfier de l’eau trop chaude qui sort de temps en temps là où je suis. Il se tasse un peu pour me faire de la place. Un peu plus tard, il se pousse carrément pour laisser sa place à Jacques. Les enfants, moins calmes que les adultes, sont très bien acceptés. Le soleil se couche, le temps est suspendu.
19 mai, Deshaies, Basse-Terre
Il n’y a plus de pain, je n’ai pas eu le temps d’en faire. À la demande de leur père, Sylvain et Gaétan vont acheter de la baguette fraiche pour le déjeuner. En France, il y a autant de boulangerie que de dépanneurs au Québec : presque à chaque coin de rue. Sauf que là, ils ont du mérite, car nous sommes sur un bateau. Il faut donc descendre l’annexe, démarrer le moteur, s’apponter, etc. Miam, quel délice : du beurre salé sur du pain frais... Après ces trois jours de marathon, ça fait du bien de rester sur mer, même à la bouée. « Avez-vous le courage de faire l’école? » « Non! » Ça tombe bien, moi non plus. Une vraie journée de vacances : rangement, ménage, couture, lessive à la main, réparations diverses...
20 mai, Deshaies, Basse-Terre
Les gars sont partis avec La Smala pour aller à la plage, de l’autre côté du morne (colline entre deux baies) pendant que nous faisons une sieste. Après la sieste, le café. Après le café, direction La Poste pour envoyer – de nouveau – un ordre de virement par fax. La Poste est fermée! Nous ne sommes pas un jour férié, nous ne sommes pas un dimanche, il est 15 h. C’est mercredi, journée hebdomadaire de congé scolaire...
Nous prenons le chemin vers la plage. Hou-là! Ça monte plus que je ne le pensais; je suis en sabot et ce n’est pas confortable. Dans la forêt sèche, à flanc de montagne, il n’y a pas de vent. Je transpire à grosse goutte. Heureusement, la plage nous attend de l’autre côté. Nous pensions que le chemin (trace, dans le langage local) passait par le col : elle passe par le sommet.
Enfin la plage. La plus belle plage de la Guadeloupe. Du sable doré, des vagues douces et pas d’algues puisque nous sommes sous le vent. Pas de trace de nos enfants... Ils ont dû rentrer par la route, chemin plus court et moins élevé que par le morne. La promenade était belle, la baignade agréable. Nous retrouvons nos enfants sur le Chantemer.
21 mai, Deshaies, Basse-Terre
« Comment ça, vous n’envoyez pas de fax? Mais c’est pour votre banque : la Banque Postale, la banque de La Poste! » Bon, le fax est finalement parti, pourvu qu’il soit traité rapidement. Celui que nous avons envoyé depuis Saint-Barth a mystérieusement disparu et la poste exige un original par la poste ou un fax, aucun courriel. Lorsque Jacques a demandé un suivi par courriel, il s’est fait répondre « Parce que vous pensez que nous n’avons que ça à faire? » Chers amis québécois, vous ne savourez pas assez la qualité du service à la clientèle offert par vos fonctionnaires.
L’été approche et il fait de plus en plus chaud, même au vent. Les garçons ne sont motivés pour se baigner que sur une plage exposée aux vagues ou avec des amis. Regarder des poissons dans l’eau n’offre plus grand intérêt pour eux. Nous partons donc en amoureux voir ce qui se passe à l’entrée de la baie. Nous sommes accueillis par plusieurs bancs de poissons juvéniles de différentes espèces. Les coraux sont petits, diversifiés et colorés. Les éponges sont impressionnantes. Ce n’est certes pas le plus beau récif que nous avons vu, mais il vaut le détail. Nager dans cet univers me vide la tête, ça fait du bien.
22 mai, Sainte-Rose, Basse-Terre
Voiture = corvée de lessive. Comme d’habitude. C’est dans ces moments-là que le confort de la vie terrestre nous manque...
Nous visitons ensuite le Domaine Séverin, une distillerie encore en activité. Nous apprenons quelques détails techniques sur la fabrication du Rhum et les différentes qualités, mais c’est surtout le site qui m’enchante. J’adore ces montagnes et ces vallées. Ces points de vue sur la mer, malgré la brume saharienne qui ne nous lâche pas depuis Saint-Martin et qui occulte tous les couchers de soleil.
23 mai, Deshaies, Basse-Terre
Rémi (Belge) et Josselin (Français) « trainent » devant le quai à annexe depuis une semaine. Ce sont de jeunes bateaux-stoppeurs. Leur projet initial était de remonter jusqu’à Cuba, mais ils ont dû se rendre à l’évidence que tous les voiliers de passage vont vers le sud à cette époque-ci de l’année afin de se mettre à l’abri des ouragans. Comme ils sont sympathiques et que nous voulons encourager les jeunes qui voyagent, nous leur proposons un aller simple vers Les Saintes.
Les Saintes (France)
24 mai, ilet Cabrit
Nos jeunes voyageurs sont encore à bord. Cette petite ile est complètement inhabitée et nous ne pouvons pas les abandonner sur une ile déserte. C’est intéressant de les écouter, de comprendre leur point de vue sur notre société, de voir leurs perspectives d’avenir. Bien sûr, seulement du fait de leur voyage, ils ne sont pas des représentants types de leur génération. Ils sont à peine plus âgés que Malika et Martin, vivent sur un autre continent, mais partagent leur point de vue sur la séparation des genres (homme/femme), l’homosexualité, le racisme...
Bref, ils ont de très belles valeurs de respects du genre humain. Ils ne donnent pas du tout l’impression que tout leur est dû. Dans l’antiquité, les Grecs étaient déjà pessimistes quant aux valeurs et aux capacités de la génération suivante. Moi, au contraire, je suis persuadée que nos jeunes ont des qualités d’esprit qui leur permettra de changer et d’améliorer notre monde. Aujourd’hui, je suis optimiste sur l’avenir de l’humanité.
25 mai, ilet Cabrit
10 ans. Trop de chiffres, comme dirait Malika. Mon petit dernier à 10 ans. « Petit »? Je ne devrais plus utiliser ce qualificatif. Avec lui, les pages de ma vie se referment une à une, en douceur. Comme un livre qu’on a tant aimé, tant relu, que l’on sait que c’est la dernière fois. Je savoure chaque page. J’essaie d’en profiter au maximum, même si être parent est loin d’être facile tous les jours. C’est un bel âge 10 ans, mais lui ne le sait pas encore.
26 mai, Terre-de-Haut
Quelle belle ile! Depuis la rade, c’est la carte postale parfaite avec ses maisons colorées au fond des vallons et les sommets vierges, à l’exception de quelques ruines anciennes. Nous montons à la tour (300 m) pour profiter de la vue aérienne du site. À midi, le soleil ne doit pas être proche de la verticale – peut-être est-il déjà au nord d’ailleurs – et la température monte vite. Au sommet, la vue nous fait oublier les litres de transpiration. Nous décidons de descendre par la trace (le sentier) qui va au bout de l’ile. Le chemin est vraiment pénible, trop abrupt, mais nous arrivons à une belle petite plage ignorée des sargasses (algues flottantes qui ont envahi toutes les petites Antilles). Heureusement, il y a une route pour rentrer, je nous verrais mal grimper de nouveau à la tour...
27 mai, ilet Cabrit
Nous sommes revenus à l’ilet Cabrit pour attendre la journée parfaite qui permettra d’atteindre Dominica. Ce n’est pas loin, à peine 20 milles. Demain, le vent devrait être plus fort, autour de 15 nœuds, et la houle plus faible, moins de 1 mètre.
Comme nous avons déjà exploré l’ilet, nous visitons les fonds marins. À défaut d’être grandiose, c’est coloré et diversifié. Des langoustes? Il y a des langoustes!!! Vérifications faites, nous ne sommes pas dans un parc. La première langouste nous échappe. Jacques harponne la deuxième. Je cueille la troisième avec mon épuisette alors qu’elle tentait de fuir en marche arrière. Alors que Jacques est en reconnaissance un peu plus loin, je vois une sole tachetée de bleu
turquoise qui nage tranquillement au ras des herbes. Elle s’enfouit dans le sable en un mouvement de nageoire et je repère bien sa cachette. Je prends le harpon, elle n’a aucune chance. C’est ma première prise avec une flèche hawaïenne. Un peu plus loin, je vois mon partenaire qui descend à une profondeur impressionnante. Qu’est-ce qui peut bien l’attirer si profond, au mépris de son mal d’oreille? Un beau mérou! Et il l’a du premier coup. Au total, nous aurons quatre petites langoustes et trois poissons pour le souper.
Après cinq semaines, la brume de sable a enfin disparu. L’horizon est de nouveau une séparation entre la mer et le ciel. C’est incroyable comme j’avais déjà oublié cette ligne si nette. Depuis cinq semaines, la brume bouchait l’horizon en une zone grise dans laquelle ciel et mer disparaissaient et qui occultait complètement les couchers de soleil.
Dominica
28 mai
Entre Les Saintes et Dominica
Les sargasses, ça agace. Ces satanées algues flottantes sont de plus en plus envahissantes. Certaines plages de Guadeloupe sont fermées, les algues s’amassent et dégagent un gaz toxique en se décomposant (en plus des mauvaises odeurs). Par endroit, il y a des flaques végétales tellement denses sur l’eau que le catamaran en est freiné. Le pire, c’est pour la pêche. Une fois la ligne à l’eau, cela ne prend que quelques minutes avant qu’une algue glisse le long du fil et s’accroche dans l’hameçon. Nous pêchons des prédateurs, un calamar en plastique avec une algue, ça ne ressemble plus du tout à un calamar... Malgré nos efforts combinés pour « désalguer » les lignes toutes les 5 à 10 minutes, nous n’avons rien pêché depuis notre arrivée à Saint-Martin. Mise à part cette frustration culinaire, le vent et la houle sont dans un angle correct. Le Chantemer file à bonne allure, sans heurts. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu une si belle navigation.
Portsmouth
Le relief de Dominica est vraiment saisissant. Les crêtes et les vallées sont à angles droits, comme coupés à la serpe. C’est vert, très vert, très très vert... J’ai déjà hâte de humer cette forêt, de respirer cette humidité. Bon, voilà le premier « boyboat », ces chaloupes de locaux qui essaient de vous vendre leur service avant même que vous soyez ancrés. Bon, il se contente de nous souhaiter la bienvenue et de nous donner son nom. Mais où sont les bouées? Plusieurs personnes nous ont dit qu’il fallait vraiment prendre les bouées et faire affaire avec un boyboat ici. Le sol est bon, nous posons l’ancre. Plusieurs autres boatboy viennent nous proposer des fruits ou de prendre nos poubelles, mais ils ne sont pas trop achalants.
29 mai, Portsmouth
Portsmouth est le contraire de Deshaies (Guadeloupe). Peu de maisons sont soignées, beaucoup ressemblent à un assemblage de planches pourries et de tôle percées. Ça ne ressemble pas non plus à un bidonville, mais nous sommes loin de l’image d’une ville touristique. C’est pourtant l’ancienne capitale et le meilleur mouillage de l’ile. Les gens, tous noirs, sont souriants et disent bonjour. Beaucoup d’hommes essaient de nous vendre des fuies, un tour guidé, etc., mais sans trop insister. Aucune femme ne nous aborde, elles répondent à mes sourires avec chaleur.
Au retour d’une marche de plusieurs heures de marche en forêt montagneuse (en l’absence de carte précise, nous n’avions pas pris le bon chemin), nous repérons des navigateurs avec des enfants. Les bateaux-copains de La Smala nous ont fait défaut, ils ont négocié un parcours avec un autre guide que notre boyboat, nous faisant perdre du coup notre tarif de groupe si durement négocié. Nous nous jetons donc sur ces Grenadiens d’origine suisse allemande pour leur proposer de partager notre guide et le prix. Et ils acceptent!
30 mai, Northern Treasure
C’est la première fois que nous faisons une visite guidée – même ici, c’est cher pour notre budget –, mais le tourisme est balbutiant et il n’y a aucun texte, aucune carte de la route ou des sentiers, aucune signalisation. Les routes sont étroites et sinueuses. Les voitures roulent à gauche et très
vite. Pour une fois, Jacques peut se concentrer sur les paysages. Robert, notre guide, s’arrête fréquemment pour nous cueillir une plante sauvage comestible ou médicinale, ou encore une fleur pour un bouquet que nous emporterons. Il nous en explique l’histoire et les usages.
Après quelques arrêts offrant de majestueux points de vue, nous arrivons à une piscine naturelle. C’est évident que si nous avions loué une voiture, nous ne serions pas là. D’abord, nous n’aurions jamais trouvé la route ni osé l’emprunter. Ensuite, nous nous serions arrêtés dès la rivière rencontrée, bien avant la piscine. Tour à tour, grands et petits sautent du rocher à six ou sept mètres au-dessus de l’eau. C’est à mon tour. J’ai peur, je n’ose pas y aller. Rien ne m’y oblige, sinon ma fierté.
Une seule solution, compter jusqu’à trois et hop! La descente est rapide, l’entrée dans l’eau se fait en douceur. Par contre, par je ne sais quel phénomène, mes pieds remontent alors que le haut de mon corps continue de descendre. Je lâche mon nez pour nager, l’eau douce s’y engouffre. Le deuxième saut est aussi impressionnant et autant d’eau rentre par mes narines. La seule différence, c’est que je sais maintenant que j’en suis capable. Je ne vois pas la pertinence de remplir à nouveau mon cerveau d’eau, même si – pour une fois – elle est douce.
Comme nous avons demandé à ne pas piqueniquer sur la plage, le sable soulevé par le vent rend les sandwiches un peu trop croquants, Robert nous emmène sur le bord d’une rivière. Le site est enchanteur. J’ai l’impression d’être au paradis : le bruit de l’eau, le chant des oiseaux, la forêt opulente et diversifiée, les fleurs colorées, et pas de moustiques!
Nous en sommes à notre dernier arrêt : Planète Mars. Il n’y a pas de mots pour décrire ce lieu défiant toute imagination. Les mots sont inutiles, le rugissement des vagues emplit l’espace sonore.
31 mai, Portsmouth
Ça y est, j’ai craqué. Nous avons officiellement abandonné l’école pour cette année. C’est dommage, il ne nous manquait qu’une semaine et demie pour finir le programme. « Officiellement », car les gars seront encouragés à faire par eux même ce dont ils ont envie. Pour Gaétan, cela veut dire qu’il n’est plus obligé d’écrire les 6 phrases de son exercice de français. Exercice redouté, qui revient une semaine sur deux, et qui a provoqué la majorité des refus de travailler. Lui qui a tant d’imagination, qui fait de si belles phrases, déteste écrire, surtout à la main. Le carnet de bord étant directement tapé à l’ordinateur, il pose un peu moins de problèmes. Moi qui pensais être tranquille pour le reste de la matinée... Sylvain me demande de corriger son long texte écrit pour le carnet de bord et Gaétan fait une dizaine d’exercices de français que je dois corriger : pas ceux où il faut écrire, juste ceux où il y a des trous à remplir.
Nous laissons les gars à la plage et nous allons visiter le parc Cabrit, avec sa citadelle. Les bâtiments sont tellement bien rénovés que l’ensemble a perdu le charme des ruines. Probablement que dans une dizaine d’années, quand les murs
auront pris une teinte que seul le temps peut donner, cette citadelle deviendra un bijou. En attendant, l’incertitude et les tensions m’empêchent de profiter de cette promenade. Si nous rentrons au Québec avant la rentrée scolaire, serons-nous dans un état d’esprit propice à nous reconstruire ou, au contraire, serons-nous dans une pression financière qui exacerbera les tensions entre nous?
1er juin, Roseau
Ici, c'est la grande ville, la capitale. Les rues sont animées, les maisons sont plus ou moins jolies, plus ou moins entretenues. L'ambiance est agréable, nous nous sentons plutôt en sécurité. Nous essayons vainement de trouver une carte des sentiers, mais le travail des guides est très protégé : impossible de faire une promenade par nous même, à moins de prendre un taxi aller et retour, ce qui revient à prendre un guide. Ici, le diplôme de guide est obligatoire pour conduire un taxi. Dominica est sans nul doute sur la voie du développement du tourisme, ils ont encore de grands pas à faire.
2 juin, Roseau
Il est 5 heures du matin. Nous mettons les voiles. Direction : la Martinique. Les vents vont tourner au sud-est pour plusieurs jours et nous ne voulons pas rester plusieurs jours ici. J’aurais vraiment aimé visiter les sites volcaniques de cette ile magnifique, mais la météo combinée à l’obligation de prendre un guide nous pousse à poursuivre notre route vers le sud, en compagnie de La Smala.