Notre locataire quitte la maison, rentrons-nous cet été? Non, c’est encore trop tôt.

Carnet de bord de Raphaëlle

Mars 2015

Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...

Côte est, Puerto Rico (USA)

1er mars, Isla Palominos

La conséquence de faire l’école le samedi, c’est que je n’ai pas de jours de repos. En effet, la soirée du dimanche est toujours consacrée à la préparation de la semaine d’école à venir. Les différents chapitres des livres scolaires sont déjà divisés en semaine de travail, mais il reste ensuite à répartir chaque semaine en cinq journées. Ce système offre deux avantages. Le premier, c’est que les enfants savent exactement ce qu’ils doivent faire à chaque journée, il n’y a donc pas de discussion du genre « Est-ce que j’en ai fait assez? » Le deuxième avantage, c’est que je sais exactement où nous en sommes dans le programme, et donc je n’ai pas le stress d’avancer trop vite ou trop lentement. Normalement, nous devrions être en congé pour cette première semaine de mars, comme nos petits amis du Québec, mais Sylvain et Gaétan ont choisi de garder leur semaine de congé pour la visite de leur sœur, dans deux semaines. Mes deux parents étant professeurs, je les ai souvent vus travailler durant les congés. Je n’ai pas à me plaindre, je n’ai pas de copies à corriger... Et il nous reste plein de temps pour profiter de la plage et de la mer.


2 mars, Marina de Puerto del Rey

La dernière fois que j’ai assisté à ce spectacle, c’était pour l’inspection avant l’achat, il y a tout juste un an. C’est très impressionnant de voir notre bateau-maison en l’air. Il a l’air si vulnérable, suspendu par seulement deux sangles. Nous suivons le Chantemer au pas, jusqu’au fin fond de l’aire de stockage. Je n’aime pas me mêler du travail des professionnels, par respect, mais j’aurai dû. Le catamaran n’est pas du tout à l’horizontale! Sur l’eau, il a un léger défaut et penche légèrement vers l’arrière (peut-être parce qu’il a été conçu pour des moteurs moins gros, et que ceux-ci sont tout à l’arrière). Mais là, nous avons vraiment l’impression de grimper pour nous rendre à l’avant du bateau.

« Maman, la toilette ne fonctionne plus du tout! Il n’y a pas d’eau qui rentre. » Oups! Nous avons bien pensé à fermer les vannes des réservoirs d’eau noire, celles qui sortent des toilettes, mais nous avons oublié que l’eau qui permet de rincer les bols est directement prise dans la mer... Il ne nous reste plus qu’à utiliser un pichet pour verser de l’eau du robinet dedans. C’est le début de notre adaptation à la vie aérienne (le plancher est à 3 mètres au-dessus du sol).

3 mars, Marina de Puerto del Rey

Sur un voilier, les voiles ne sont pas le point le plus sensible. Comme pour tout bateau, c’est la coque. Mais juste après la coque, pour les embarcations trop grosses pour être manœuvré à la rame, vient le moteur. Ben oui, il ne suffit pas que ça flotte, il faut aussi pouvoir le faire avancer dans la direction que l’on veut. Mais comment faisaient les anciens trois-mats, avec leurs voiles carrées qui ne leur permettaient pas de remonter le vent et sans moteur??? C’est avec une certaine émotion que nous voyons nos moteurs, l’un après l’autre, quitter le navire par les airs (ce qui est moins inquiétant que par les eaux...). C’est pour cela que nous sommes à terre, même si nous profiterons de cette escale pour nous occuper de toute une pléiade d’autres problèmes, plus secondaires.

4 mars, Marina de Puerto del Rey

J’avais peur de trouver le bateau trop immobile, mais il n’en est rien. Les bourrasques le font vibrer d’une manière fort peu rassurante, surtout en pleine nuit. Le Chantemer restera cependant sagement sur ses supports toute la nuit.

C’est au tour de Sylvain de fêter son anniversaire. Son cadeau lui parviendra en retard, c’est Malika qui l’apportera dans ses bagages. Depuis qu’il était né, Jacques et moi trouvions qu’il avait l’âge idéal : à 6 semaines, à 3 mois, à 6 mois, à 1 an, à 5 ans, à 9 ans... Comme nous avons deux enfants nettement plus vieux, nous n’avons jamais ressenti de l’impatience vis-à-vis de la prochaine étape de son développement. Au contraire, nous avons fait attention à profiter des avantages de chaque stade. À 10 ans? Il y avait trop de chiffres, comme l’avait fait remarquer sa grande sœur. 11 ans! Déjà... 11 ans que cet ange est parmi nous. L’adolescence dresse son spectre. Déjà, il refuse parfois de nous donner la main. Heureusement, il a décrété qu’il n’était pas trop vieux pour les bisous et les câlins. Ouf!

5 mars, Marina Puerto del Rey

La vie sur terre, du moins dans un bateau, offre des défis quotidiens assez différents de la vie sur la mer. Pour une fois, nous avons autant d’eau et d’électricité que nous voulons. Oui, mais... où vont les eaux usées? Celles des toilettes vont dans les réservoirs, mais celles de l’évier, des lavabos et de la douche? Directement sous le catamaran! Si nous étions sur du gazon, cela ne serait pas trop grave. Mais à cause du nettoyage des coques à l’eau sous pression puis de la peinture prévue, des bâches ont été étalées sous le bateau, à même la terre battue. Du coup, nous récupérons l’eau trop sale dans une bassine, que nous vidons plusieurs fois par jour un peu plus loin. Au moins, nous avons accès à une poubelle toute proche, nous n’avons plus besoin de rincer les ordures. Comme quoi rien n’est parfait dans ce bas monde.

6 mars, Fajardo

Mauvaise nouvelle, même si nous nous y attendions... Les moteurs ne seront pas remontés aujourd’hui, au mieux, le Chantemer pourra retrouver les flots mardi, dans 4 jours. Une pièce délicate fuit, ils essayent d’en trouver une pour la remplacer, mais une grosse dépression sévit sur le continent et le trafic aérien risque d’être perturbé. Deux techniciens sont penchés sur nos moteurs, le dérouillant et le décrassant méticuleusement. À part la pièce bizarre qui fuit (je n’ai compris ni sa fonction si son nom), ils n’ont rien trouvé de majeur. Ils ont démonté tous les boulons, ce qui devrait nous simplifier la tâche si nous avons des petites réparations d’urgence. Ce n’est que dans quelques semaines, si aucun problème ne surgit, que nous pourrons conclure que cette dépense supplémentaire en valait la peine. En tout cas, ils ont l’air de faire du travail sérieux, selon ce que nous observons lors de cette visite surprise à l’atelier Volvo.

Côte nord, Puerto Rico (USA)

7 mars, El Yunque (The Rain Forest)

Enfin, nous sommes dedans. Dans cette forêt tropicale humide que nous observons de loin depuis des semaines. Elle tient toutes ses promesses, sauf pour les bibites : pas un moustique ne nous achale. Je suis en admiration devant les fougères arboricoles, si hautes au bout d’un tronc si frêle. Il y a beaucoup plus de palmiers que je ne le pensais, mais ce ne sont pas des cocotiers. Les roseaux aussi sont gigantesques. Heureusement que les chemins sont bétonnés, car la végétation envahit tout.

Par contre, il y a peu de fleurs, quelques hibiscus sauvages sur le bord de la route. Nous entendons des perroquets, mais nous sommes incapables de les repérer dans cet enchevêtrement végétal. Il faut dire qu’ils sont petits et verts, ce qui ne nous aide pas. Bon camouflage.

Nous voilà au pied de la célèbre cascade. Jacques va se baigner. Je lui en veux un peu, car il a mis son maillot sous son pantalon, mais il n’a pas pensé à nous dire de prendre les nôtres. Les garçons enlèvent leur bas de pantalon et vont se baigner en short. Je reste seule sur les rochers, à les regarder... Tant pis pour mon pantalon de coton et mon chandail sans brassière (après 3 jours en Floride, j’ai décrété qu’il était inhumain de demander aux femmes de porter un soutien-gorge par cette chaleur). Brrr, l’eau est plus froide que ce que je pensais, même si elle ne tombe pas d’un glacier. La cascade est vraiment puissante, c’est difficile de rester en dessous. Je suis contente d’y être allée, mais le retour en vêtement mouillé est assez inconfortable. Il ne fait pas très chaud, nous sommes quand même à une altitude de 1 100 mètres. Depuis 9 mois, nous dormons à une altitude de 15 cm au-dessus de la mer (quelle que soit la hauteur de marée et des vagues). D’ailleurs, nous avons un peu de mal à respirer, mais c’est peut-être à cause de l’humidité.

8 mars, San Juan

El Morro

Il n’était pas question de quitter Puerto-Rico sans visiter le vieux San Juan, sa capitale. Le fort El Morro est vraiment impressionnant, nous mettons trois heures à le visiter (5 $ par adulte et gratuit pour les enfants, Puerto-Rico est décidément une destination bon marché). La contribution de l’Espagne au développement de cette civilisation est largement reconnue. Il y a aussi quelques timides références aux Indiens aborigènes.

Le vieux San Juan

Après cette visite riche en histoire et en escaliers, nous trouvons quand même le courage de se promener un peu dans les rues avant de retourner à la voiture. Les voies sont étroites et pavées, bordées de voitures stationnées serrées. Les maisons sont soignées et colorées. Ici, contrairement à toutes les autres bourgades que nous avons vues, la majorité des balcons est en bois et non en fer forgé. De nombreuses statues d’art contemporain ornent les places et il y a beaucoup de végétation, arbres ou plantes en pots. Encore une fois, nous nous sentons plus en Europe qu’en Amérique. Même le vieux Québec parait moderne à côté du vieux San Juan.

La Isla Cabras

Une fois sortis du West-Marine, le magasin nautique (il faut bien optimiser la location de la voiture), nous nous aventurons sur La Isla Cabras, de l’autre côté de la baie de San Juan. C’est un parc bondé – nous sommes dimanche – rempli d’enfants, de baigneurs, de motomarines, de pêcheurs... et de musique! Puerto-Rico, si colorée et si bruyante. La salsa, ça va un peu, mais pas toute la journée. Le pire est quand on se trouve à mi-distance entre deux mégas haut-parleurs qui ne jouent pas la même musique... Au retour, nous entendons des bruits de sabots. Nous croisons, sur la route, plusieurs chevaux au trot montés à cru. D’autres chevaux sont attachés à des arbres, en bordure de la plage.

Côte est, Puerto Rico (USA)

9 mars, Fajardo

Les moteurs sont beaux beaux beaux avec leur peinture brillante, mais ils ne sont pas encore prêts à être remontés. Si tout va bien, le Chantemer flottera à nouveau dans trois jours. Cela nous parait long, mais d’un autre côté il y a beaucoup de travaux que nous voulons faire sur le bateau tant que nous sommes à terre.

10 mars, Marina de Puerto del Rey

J’ai ressorti le Raphanet, ma potion maison de récurage. Nous avons de l’eau, l’accès aux jupes arrière (marches qui descendent jusqu’au niveau de l’eau) et du temps. L’eau sale fini sa course sur le sol en terre battue de la marina, mais les produits que nous utilisons ne sont pas polluants. Ce voilier est bien plus petit que notre maison, mais j’ai l’impression que nous y passons beaucoup plus de temps à faire du ménage. Demain, corvée lessive...

11 mars, Marina de Puerto del Rey

Cette marina est grande, trop grande. Il lui manque deux choses essentielles, du moins, selon mes critères. En premier lieu, il n’y a pas de piscine, ce qui n’est pas compensé par une plage facile d’accès. Une piscine? Alors que nous avons très souvent l’occasion de nous baigner en mer? Ben oui, une piscine. Pour occuper les enfants pendant que les parents font les travaux nécessaires sur leur bateau. Ensuite, il n’y a aucun lieu central de rassemblement (la piscine règlerait également ce problème). Même les douches sont dispersées sur au moins quatre bâtisses. Il reste la buanderie. Tout le monde profite d’être à la marina pour laver son linge. Je n’avais pas eu l’occasion de discuter avec d’autres navigateurs depuis près d’une semaine, lorsque les deux autres couples qui habitaient sur leur bateau au sec sont partis.

Le Chantemer a retrouvé son intégrité, les moteurs ont repris leur place. C’est fou ce qu’il y a comme câbles électriques et tuyaux de toutes sortes à brancher (gazole, liquide de refroidissement, eau de mer, chauffe-eau...)! Le plongeon est prévu pour demain à 13 h 30, donc avec trois jours de retard.

12 mars

Marina de Puerto del Rey

Enfin, les moteurs sont remontés, le portique pour charger le catamaran. Alors qu’il est soulevé par les deux sangles, ses gémissements me prennent aux tripes. Je suis à la fois stressée et excitée. Excitée, car nous attendons ce moment depuis de trop nombreux jours. Stressée, car c’est toujours un moment délicat, où tout peut arriver, et nous ne sommes pas assurés. Nous refaisons le même trajet que 10 jours auparavant, toujours aussi lentement.

Enfin, les coques touchent l’eau, tout danger est presque écarté. Les moteurs sont testés avant d’enlever les sangles. Tout semble fonctionner jusqu’à ce que l’alarme de l’alternateur se déclenche. #/$%?$#*±@# Il nous fait défaut depuis le début. Cela fait au moins 5 fois que nous le faisons tester par différents professionnels qui tous, sans exception, nous le redonnent en disant qu’il fonctionne parfaitement... À peine remis à l’eau, qu’il faut déjà changer un alternateur...

C’est le départ. Les moteurs ronronnent à l’unisson. Il n’y a plus de vibrations, seul un très léger fourmillement subsiste. C’est maintenant que nous réalisons à quel point nos moteurs ne fonctionnaient pas normalement. Il y a deux capteurs qui ne fonctionnent pas, probablement à cause d’un mauvais câble électrique, nous verrons ça demain. Malgré un vent apparent de 20 nœuds en plein dans le nez, nous filons à plus de 5,5 nœuds, sans que les moteurs semblent forcer (le vent apparent est le vent ressenti sur le bateau, c’est la résultante du vent réel et du vent bateau causé par sa vitesse). C’est vrai que les vagues sont étrangement petites alors que nous avons eu beaucoup de vent ces derniers jours, nous ne nous en plaignons pas.

Isla de Palominos

Au mouillage, quel plaisir de retrouver le doux déhanchement du catamaran, même si nous sommes bien protégés de la houle. La cuisine est de nouveau recouverte de cristaux de sel, à cause du robinet d’eau de mer. Nous recommençons à trier et à laver nos déchets, et à utiliser les toilettes du bord. Bref, la vie normale sur un voilier reprend. Je sens que je vais bien dormir (nous n’avons pas encore reçu la facture pour les moteurs).

13 mars, Isla de Palominos

Kairos, Kairos... Ce nom me dit quelque chose. Le voilier en tant que tel ne me rappelle rien, pourtant ce nom m’est familier. J’y suis! C’est le nom du bateau de Bill, le Texan que nous avions rencontré à la marina de Puerto Real, il y a déjà six semaines. C’est la première fois que nous croisons par hasard un bateau de notre connaissance.

Je suis fascinée par l’innovation et la créativité que les enfants ont lorsqu’il s’agit de trouver de nouveaux divertissements. Grimper aux haubans et au génois n’intéresse plus beaucoup Sylvain et Gaétan. Ils montent déjà assez haut pour se faire remarquer par tous les bateaux alentour. Leur nouveau jeu consiste à utiliser la drisse de réserve comme une liane. Ils s’élancent du toit de la cabine centrale, s’élancent au-dessus du trampoline pour atterrir de l’autre côté du mât. Une variante consiste à s’accrocher au génois. Sylvain, qui a fait ses preuves comme constructeur de Legos depuis longtemps, s’est mis en tête de fabriquer un bateau à partir d’une boite à œufs, de quelques feuilles et autres matériaux récupérés. Cela fait trois jours qu’il y travaille. Le plus extraordinaire, c’est que par une brise constante il file droit et assez rapidement, même s’il a tendance à se renverser à la première bourrasque.

Côte nord, Puerto Rico (USA)

14 mars

San Juan

Elle arrive! Elle arrive! Heureusement, son avion avait un peu plus de retard que nous. Le technicien de Volvo est venu ce matin, pour vérifier deux capteurs qui ne fonctionnaient pas, et nous sommes partis un peu juste. En plus, le GPS nous a baladés dans la zone de fret et de services, en arrière de l’aéroport, et nous avons dû contourner de nouveau toutes les pistes pour arriver à l’aéroport... Grâce aux walkies-talkies des enfants, nous faisons rapidement le lien avec l’équipe papa-Sylvain qui sont à bord de la voiture, ce qui nous a évité de nous perdre dans le stationnement. Malheureusement, le cadeau pour Sylvain n’est pas arrivé à temps. Nous nous arrêtons donc pour qu’il puisse choisir un autre cadeau. Et que choisit-il? Des Legos, pour changer. Comme toujours, nous profitons de chaque déplacement en voiture pour acheter des fruits. Je me laisse tenter par un régime de bananes. La vendeuse m’a assuré (en espagnol) que les dernières bananes ne seraient mûres que dans deux semaines. Nous verrons bien.

El Yunque (The Rain Forest)

Comme l’après-midi est encore jeune, nous amenons Malika dans la forêt tropicale. Nous prenons un autre chemin pour nous rendre à la cascade. Cette fois, nous sommes tous en maillot de bain. En plus, je trouve une petite corniche pour y poser les pieds et nous tenir debout sous la cascade. J’y reste de longues minutes, fouettée par l’eau fraiche, ayant parfois du mal à respirer. Je m’y sens si bien.

Côte est, Puerto Rico (USA)

14 mars (suite), Marina de Puerto del Rey

L’ancrage à l’entrée de la marina est vraiment exposé aux vagues. Nous avons le mal de mer sans même naviguer... Le soleil vient de se coucher, nous décidons d’aller quand même à La Isla de Palominos. Il fera nuit noire, mais nous connaissons bien les lieux. Nous sommes tout juste sortis de la passe, les moteurs tournent à bon régime pour contrer la forte houle. Un bruit suspect vient du moteur tribord, une espèce de cliquetis. Puis, en quelques secondes, l’alarme d’huile se fait entendre, je remarque que la température augmente très vite et finalement le moteur se met à cracher une fumée blanche, dense, par la sortie d’eau de refroidissement (mélange d’eau de mer et de gaz d’échappement). En panique, nous tirons sur le câble pour éteindre le moteur, mais rien ne se passe. Le moteur s’éteint au bout de ce qui nous a paru d’interminables minutes, mais qui ne devaient probablement être que quelques dizaines de secondes. Nous retournons, au bord des larmes, nous ancrer dans cet affreux mouillage. Avons-nous dépensé 4 000 $ (pièces, main d’œuvre et marina, mais sans compter les autres travaux) sur les moteurs pour en arriver là? Malika n’est ici que pour une semaine, il n’y a rien à faire à cette marina : ni piscine, ni plage, ni village à visiter, ni jolie promenade...

15 mars

Marina de Puerto del Rey

Le niveau d’huile est ben trop élevé. En plus, l’huile n’est pas assez visqueuse, comme si elle était diluée. Curieusement, le moteur démarre du premier coup, mais lorsque Jacques met les gaz, le cliquetis recommence et de la grosse boucane blanche sort à nouveau de l’échappement. Nous arrivons à la conclusion qu’il y a du diesel qui a coulé dans l’huile. Comment cela se peut-il? Est-ce les mécanos qui ont mal remonté quelque chose? Est-ce dû à la pompe à carburant dont nous avions repéré une fuite externe la veille? (C’est une des pièces les plus chères à remplacer.) Jacques entame la vidange de l’huile, il y a en effet 4 litres de liquide en trop. Évidemment, l’atelier Volvo ne nous a pas rappelés. Nous ne pouvons pas leur en tenir rigueur, nous sommes dimanche. Après bien des hésitations, nous décidons d’aller, avec un seul moteur, à la Isla de Palominos. Le vent, plus modéré que les deux semaines précédentes, est juste assez en biais pour nous permettre de soulager le moteur avec les voiles. Dire que nous y étions la veille au matin, nous avons l’impression que c’était il y a plusieurs jours. Au moins, nous pourrons nous baigner et faire découvrir l’ile à Malika. Cela nous donnera l’impression d’avoir fait quelque chose de notre journée. Nous appellerons l’atelier Volvo lundi matin, nous verrons alors si nous devons rentrer à Fajardo ou si nous continuons vers Culebra.

15 mars, Isla de Palominos

La chance nous sourit, une bouée se libère alors que nous arrivons. Nous n’avons jamais vu autant de bateaux à cet endroit. Au niveau de la plage, les embarcations sont ancrées sur trois rangées, amarrées les unes aux autres. Et il y a toujours autant de musique...

16 mars, Marina de Puerto del Rey

Nous attendons toujours la venue du technicien... Heureusement, le temps est très calme et le mouillage est bien plus tranquille que ce à quoi cette baie nous a habitués. Ce qui me fait le plus râler, c’est qu’aujourd’hui il y avait le vent parfait pour aller à Culebra. Culebra est une petite ile très touristique à l’est de Puerto Rico, directement sous le vent dominant. C’était une belle destination pour y amener Malika, à seulement quelques heures de navigation. Si nous y partons demain, en supposant que le Chantemer est en état et que les vents ne soient pas trop défavorables, est-ce que ça vaudra encore la peine d’y aller sachant que nous devrons revenir dans le coin à peine trois jours plus tard?

17 mars, Marina de Puerto del Rey

La mauvaise nouvelle redoutée vient de tomber. Notre locataire ne reconduit pas le bail au premier juillet. Jacques et moi sommes d’accord qu’un retour en juillet serait prématuré. Nous n’aurions pas le temps de profiter de nos moteurs tout nettoyés. Et puis, nous ne sommes qu’à mi-distance entre la Floride et le sud des Antilles. Il reste tant à voir, tant de plage à essayer, tant de gens à rencontrer. Il doit bien y avoir un moyen pour trouver un nouveau locataire. Même si la maison est occupée, nous pouvons rentrer au Québec et chercher un logement temporaire. Mais, financièrement, nous ne pouvons pas continuer le voyage sans le loyer de la maison.

Un petit joint. Un simple petit joint torique en caoutchouc de moins de 2 cm de diamètre vient de paralyser notre catamaran. Mais voilà, il n’est pas de marque Volvo et il n’est visiblement pas compatible avec nos moteurs. Un joint par cylindre, il y en a trois par moteur. Le moteur tribord commençait lui aussi à perdre du gazole. En le vérifiant, le mécanicien découvre que de ce côté aussi les joints sont déchirés. Avec beaucoup de chance, ils arriveront du continent demain. En attendant, ce sont les deux moteurs qui sont en panne totale. Donc, nous sommes vraiment coincés ici. Malika, qui réagit de plus en plus en adulte, nous rassure en nous disant que ce qu’elle aime avant tout, c’est vivre sur le bateau. Notre immobilité dans cette rade perdue ne semble pas la contrarier; qui l’eut crut? Nous aussi, nous pouvons prendre les choses du bon côté. Le sérieux du technicien nous a probablement évité de tomber en panne du deuxième moteur quelque part en mer. Ce n’est pas non plus une panne déclenchée par le nettoyage, ce qui aurait été un signe que cet entretien n’aurait fait que repousser les problèmes mécaniques. Nous ne pouvons en vouloir à l’atelier Volvo de ne pas avoir utilisé des pièces d’origine pour un simple joint, nous aurions fait la même erreur – les pièces Volvo sont vraiment très chères. Le temps est calme, donc le mouillage est supportable. Allons nous baigner! Nous aurons ainsi l’impression de faire quelque chose de notre journée.

Des langoustes!!! Enfin un peu de lumière dans cette journée désespérante. Elles sont là, cachées sous l’unique patate de corail du coin. Je reviens avec Jacques et tout l’équipement nécessaire. La première se faufile hors de mon épuisette par un trou que je devais réparer depuis longtemps, c’est bien fait pour moi. Mais je la rattrape sans difficulté. Elle n’est pas bien grosse... La deuxième est bien plus intéressante, mais je m’enfarge dans le filet qui contient la première prise et elle file se cacher dans un autre trou. Jacques la titille tant et plus, elle a l’air vraiment fâchée. Elle profite d’un moment d’accalmie, Jacques est en train de nettoyer son masque, pour sortir de son trou sans prévenir. Malheureusement, je réagis un quart de seconde trop tard et je la perds de vue dans les herbes. La troisième est si petite que nous la laissons tranquille. Une petite langouste pour cinq, cela fera à peine une bouchée chacun. Peu importe, j’aime cette pêche en équipe et l’adrénaline qui en découle. Demain, nous y retournerons.

18 mars, Marina de Puerto del Rey

Jacques et moi avons fait le même cauchemar. Un coup de vent survient, l’ancre décroche et nous assistons, impuissants, à l’écrasement du Chantemer sur les rochers. Nous nous sentons tellement vulnérables sans les moteurs! Bien sûr, c’est un voilier, donc un bateau dont la principale source motrice est le vent. Mais il n’est pas fait pour être manœuvré sans les moteurs. Heureusement, l’ancre est bien enfoncée dans du sable recouvert d’un peu d’herbe, le fond parfait pour notre ancre. Il faudrait des rafales de plus de 40 nœuds pour risquer de décrocher. Lorsque les alizés sont forts, ils soufflent à 25 nœuds. Nous ne sommes pas dans la saison des ouragans et le temps n’est pas à l’orage. Nous n’avons donc pas de raisons de nous inquiéter et les moteurs devraient être remis en état dès le lendemain. Du moins, nous l’espérons...

19 mars, Marina de Puerto del Rey

Nous n’avons toujours pas de nouvelle de nos joints. Le congé d’école et la présence de Malika ne nous incitent pas à nous lancer dans de nouveaux travaux. Nous avons besoin de nous reposer après les 10 jours au sec où nous avons utilisé chaque minute pour profiter de la situation (coques accessibles, électricité et eau à profusion) pour faire tous les travaux et nettoyages possibles. Donc, nous nous occupons comme en vacances : lecture, baignade, pêche infructueuse à la langouste, jeux de cartes, etc.


20 mars

Marina de Puerto del Rey

Les moteurs fonctionnent, les réservoirs d’eau et de gazole sont pleins, nous pouvons partir en toute confiance. Enfin, par trop loin ni trop longtemps, car il faut ramener Malika à l’aéroport de San Juan le lendemain. Sylvain, qui grandit, demande à prendre la barre. Il se débrouille comme un vrai capitaine, anticipant le moment où il faut redresser la roue pour que le voilier ne tourne pas trop. C’est lui qui maintient le cap face au vent le temps que nous montions la voile, ce n’est pas si facile que cela et il s’en tire comme s’il l’avait toujours fait, certainement mieux que moi à mes débuts. Bravo Sylvain!

Rada de Fajardo

Cap vers Cayo Icacos, que nous n’avons pas encore visité. Nous irons ensuite à la Isla de Palominos pour y passer la nuit. Les moteurs sont en parfait état, mais, pour une fois, nous sommes à la voile par vent léger. Nous ne sommes pas pressés... « Des baleines! » Nous avons peine à y croire, mais tout le monde se précipite sur le pont pour vérifier les dire de Jacques. Elles se tiennent assez loin du voilier, mais elles sont tellement énormes que ce n’est pas un problème. À plusieurs reprises, nous voyons leur queue sortir de l’eau et leur geyser haut dans le ciel. Encore une journée magique.

Côte nord, Puerto Rico (USA)

21 mars, San Juan

C’est déjà le temps du départ de Malika. Son avion n’est que dans plusieurs heures, elle décollera à 2 h 30 du matin, mais attendre avec elle ne servirait pas à grand-chose. Elle s’en va dans les méandres de l’aéroport, toute seule, sans se retourner, tandis que nous remontons rapidement dans la voiture mal garée. Les séparations sont toujours des moments tristes, trop courts et embarrassants à la fois, qui me laissent un goût désagréable dans la bouche et un vide dans le cœur. Comme toujours, je n’ai pas su quoi dire...

Vieques, Puerto Rico (USA)

22 mars, Punta Arenas

L’eau est transparente, les coraux sont variés, les poissons sont nombreux. Je retrouve le plaisir de nager, agitant mon masque dans tous les sens pour essayer de tout voir. Le fond est vraiment très varié, mais l’eau est plutôt fraiche.

Il pleut, cela ne nous surprend pas. Chaque fois que nous regardions cette ile de loin, elle semblait sous la pluie. Les averses se succèdent, mais nous décidons quand même d’aller découvrir la côte. Tout ce que nous risquons, c’est de se faire mouiller. À 26 °C et en maillot de bain, les conséquences ne seraient pas bien graves. À l’attaque!!! Tous les moustiques du coin se ruent sur nous. Nous n’avons pas fini de planter l’ancre dans le sable (pour que l’annexe ne se fasse pas emporter par une grosse vague), que nous effectuons un repli stratégique sur le Chantemer, suffisamment loin de la rive pour que les moustiques ne nous suivent pas.

Cette fois-ci, nous débarquons avec plus de stratégie. Nous nous enduisons les membres de répulsif à moustiques et nous abordons proche de la pointe qui marque l’extrémité nord-ouest de Vieques. Il devrait y avoir plus de vent, donc moins de bibittes suceuses de sang. La plage nord est jolie, mais il y a moins de vagues que ce que nous espérions. Surprise! Sylvain trouve coup sur coup deux belles conques, si proche du bord que leur coquille dépasse des flots. Ramasser des conques n’a jamais été aussi facile.

23 mars

Esperanza

Nous cherchons un point d’ancrage parmi les bouées privées. Alors que nous avançons au ralenti, une annexe s’approche de nous et un homme nous explique en anglais que les bouées sont privées — 25 $ par nuit. On peut s’ancrer, mais plus loin et dans une herbe dense qui empêche les ancres de bien s’enfoncer, ce qui rend la tenue incertaine. Le tarif est très cher, surtout pour Puerto Rico. Notre ancre ne nous a jamais fait défaut dans l’herbe. Nous nous éloignons un peu de la zone des bouées. Nous consultons Activ Capitaine, le web 2 des navigateurs. Les agissements du pseudo-responsable du port y sont dénoncés et il y a plusieurs mises en garde contre les vols. Une annexe solidement verrouillée au bateau s’est fait dérober une nuit alors que l’équipage était à bord. Tout cela ne nous donne pas envie de rester là. Sommes-nous plus à risque parce que nous avons refusé de payer une bouée? Après quelques hésitations, nous décidons de visiter quand même le village, mais de ne pas passer la nuit dans cette baie. Les gars en profitent pour sauter d’un immense ponton en béton délabré, parmi des dizaines de jeunes Puerto-Ricains.

Puerto Ferro

Nous sommes juste après la baie bioluminescente de Vieques, très réputée, mais dont l’accès n’est pas assez profond, même pour notre catamaran. Il parait que celle-ci est tout aussi lumineuse. Il fait nuit noire, la lune offre un tout petit croissant, un sourire parfaitement horizontal. Nous allons dans un renfoncement dans la mangrove que Sylvain et moi avons repéré un peu plus tôt en kayak. Sylvain et Gaétan ne veulent pas se baigner, Jacques et moi avons envie de renouveler l’expérience. Contrairement à ce que nous avons lu dans d’autres récits de navigateurs, il y a beaucoup moins de luminescence que dans la baie de Parguerra. Est-ce parce qu’il y a plus de lumière parasite? Est-ce à cause de la lune ou de la marée? Cela reste tout de même magique d’être entouré de ces petites bulles de lumière.

24 mars, Bahía de La Chiva

Ce n’est pas la plus belle plage du monde, mais le paysage est beau et le sable est fin. C’est un excellent terrain de jeux pour petits et grands, il y a si longtemps que nous n’avons pas été à la plage! Il n’y a pas assez de vent pour faire du kite, mais les gars s’entrainent avec le plus petit cerf-volant. Heureusement que Jacques tient Sylvain, il a failli s’envoler! J’aime la plage, mais à petite dose. Une heure, c’est parfait. Au bout de deux heures, j’ai vraiment envie de rentrer au catamaran. Nous sommes partis à 2 h, il est 4 h 30... Heureusement, des nuages noirs et menaçants précipitent notre retour.

Culebra, Puerto Rico (USA)

25 mars, Culebrita

La baie est magnifique, l’eau est complètement transparente. Je regarde les coraux colorés, presque en dessous de nous. Un peu plus loin, une vague déferlante attire mon attention. Soudain, je réalise que nous allons droit sur un récif. « Vire, vire, vite! Des coraux! » Jacques fonce à la barre, met les moteurs à fond, tourne la roue au maximum. Boum, boum. La quille tape deux ou trois fois sur le corail, mais nous dégageons rapidement de la zone à risque. Je m’en veux. C’est vrai que ce récif n’apparait pas sur le cartes, nous étions censés avoir 10 pieds sous la quille. Mais nous savons que les cartes ne sont pas infaillibles et qu’il faut toujours surveiller de visu. C’est bien là le problème, j’étais en mode émerveillement et non en mode vigilance. Tous les indices étaient présents : couleur de l’eau (début d’après-midi au soleil), vagues déferlantes...

Culebrita a tout pour plaire : des coraux pour les nageurs, des sentiers pour les randonneurs, des rochers pour les grimpeurs, une magnifique plage de sable fin bien protégée, une magnifique plage de sable fin fouettée par des vagues non dangereuses, un vieux phare et même des chèvres. Un paradis pour navigateurs, du moins pour ceux qui ne courent ni les bars ni les restaurants.


26 mars, Ensenada Honda

Des voiliers, pleins de voiliers! Et plein de pavillons canadiens, et même des pavillons québécois! Nous allons rendre visite à nos voisins, il y a bien longtemps que nous n’avons pas conversé avec d’autres marins. C’est ainsi que nous rencontrons Joanne et Marcel, sur Au gré des vents, qui écument les Caraïbes depuis cinq ans. Nous faisons aussi la connaissance d’un équipage franco-québécois. Sylvain et Gaétan sont d’une patience d’ange durant nos discussions de navigateurs adultes.

27 mars, Isla de Culebra

Finalement, nous décidons de visiter Culebra par la terre. Comme l’ile est trop grande pour être visitée à pied, nous louons une voiturette de golf, au grand plaisir des enfants. Nous tombons malencontreusement sur le pire tacot de toute l’ile, qui pétarade joyeusement et qui freine à peine. C’est comme une décapotable muni d’un moteur de tondeuse à gazon et avec un toit, nous sommes en plein air! Au moins, on ne se pose pas la question s’il faut ouvrir les fenêtres ou mettre la clim. Les jeunes sont très fiers de la conduire, même si ce n’est que sur quelques mètres. Nous en profitons pour visiter quelques plages, faire l’épicerie et faire la lessive.


28 mars, Ensenada Honda

L’école est laborieuse. Nous sommes samedi, mais nous avons fait l’école buissonnière hier, il faut bien rattraper le retard. Jacques est à terre, il devait ramener la voiturette de location. Une annexe s’approche, avec de jeunes enfants à bord. Je me précipite et remarque tout de suite que l’immatriculation du zodiac commence par QC, c’est donc une embarcation québécoise. C’est l’équipage du Jayana, qui a repéré notre pavillon québécois et Sylvain qui faisait les devoirs dans le cockpit (donc dehors). La conversation est assez courte, c’est à leur tour de visiter l’ile en voiturette de golf, mais nous nous promettons de trouver le moyen de se voir dans les jours suivants.

Mais que fait Jacques! Cela fait bien longtemps qu’il est parti. Hum, l’annexe n’est plus au quai, j’espère qu’elle n’a pas été volée. Il n’y a pas de criminalité reportée à Culebra. La preuve : la laverie est équipée d’une machine à faire de la monnaie qui n’a pas été vandalisée. Le coquin! (Bon, ce n’est pas le mot que j’avais employé, mais je fais passer la politesse avant la véracité.) Il est allé voir le catamaran juste en avant de nous, un Leopard 40 du même modèle que le nôtre avec un pavillon français. Il n’a pas voulu y aller hier, il était fatigué (c’est lui qui conduit), et aujourd’hui, il y va sans moi! Il revient enfin au Chantemer, la mine un peu coupable. Nous décidons d’inviter l’équipage de Sailavie pour diner. Randy est États-Unien et comprend peu le français, mais Michelle est d’origine française et est ravie de parler français et de la France. Ce qui est ressorti de nos discussions n’est pas flatteur pour les Français – j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur – mais notre bilan est tristement le même. Tout comme nous, elle ne se sent pas réinsérable dans la société française, dans ce pays que nous ne reconnaissons plus, ou plutôt que nous avons l’impression de ne plus connaître. La même question se pose pour nous, quelle personne serions-nous si nous étions restés en France? Elle a quitté son pays natal il y a 40 ans. Pour nous, c’était il y a 15 ans.

29 mars, Playa de Carlos Rosario

J’avais très envie de visiter le parc marin Luis Peña, le décor qui s’offre à mes yeux me donne raison. Il y a quelques gros coraux morts, mais recouverts de coraux colorés et diversifiés. Les éventails de vénus et les plumes de mer donnent un spectacle aérien. De nombreux poissons, dont certains que je n’avais encore jamais rencontrés, se promènent dans ce décor féérique. Je nage longtemps à la recherche du plus beau paysage, d’un poisson inconnu à immortaliser. J’ai suffisamment nagé avec les palmes ces dernières semaines pour ne pas avoir de crampe. En retournant au Chantemer – je m’en suis pas mal éloignée – je fais un détour par un voilier sur lequel nous avions repéré des enfants, à peu près du même âge que les nôtres. Nous nous donnons rendez-vous sur la plage une heure plus tard.

Les enfants jouent plus ou moins ensemble, la langue est vraiment un frein même si le soccer est universel. Les adultes discutent de leur vie, de leur bateau, de leur projet, l’eau tiède arrivant à la taille, dans la lueur du soleil couchant. Ce sont finalement les moustiques qui nous chasseront. Heureusement, ils ne nous suivront pas jusqu’au bateau. C’est un des avantages d’habiter sur un voilier : il suffit d’un peu de vent et d’être à une centaine de mètres de la rive pour nous protéger de ces satanées bibites.

30 mars

Playa de Carlos Rosario

Cela aurait pu être une journée parfaite : un peu d’école, une dernière baignade dans ces coraux magnifiques, une jolie petite traversée puis les (re)trouvailles à Culebrita avec la famille québécoise dont nous avions brièvement fait connaissance quelques jours auparavant.

Oui, mais voilà. J’ai décidé que je coupais les cheveux de Sylvain et Gaétan aujourd’hui. J’aurais déjà dû le faire il y a deux semaines. Or, ils en ont marre des cheveux courts. Plus ils sont longs, plus la serviette de baignade se gorge de sel et plus il faut d’eau douce pour les rincer. Ils ont les cheveux propres, c’est aujourd’hui qu’ils passeront à la tondeuse. Sylvain fait la baboune, Gaétan une vraie crise. Je finis par avoir gain de cause, mais l’école prend du retard. Pas de baignade avant le départ. De toute façon, le temps est gris avec du vent, il fait trop froid pour aller à l’eau.

Au nord de Culebra

C’est au tour de la gentille petite traversée. Oui, mais voilà. Nous avons approuvé l’idée de la famille rencontrée la veille de passer par le nord de l’ile, que nous ne connaissons pas. Du coup, nous nous retrouvons avec un vent parfaitement de face. Nous partons à la voile, donc dans la mauvaise direction. Plus on s’éloigne de l’ile, plus on quitte sa protection. La houle est forte. Heureusement, les vagues sont longues et le catamaran ne tape pas. Du coup, le trajet qui aurait dû prendre une heure et demie nous en prend trois. Et encore, on a fini par allumer les moteurs.

Culebrita

Il reste le rendez-vous avec l’équipage du Jayana. Ils sont effectivement ancrés dans la baie, juste à côté de l’autre famille qui est partie une heure avant nous. Enfin, tout se passe bien dans cette journée contrariante. Les enfants jouent très bien ensemble, malgré la différence d’âge. Ils parlent la même langue. Ils vont même tous les trois à la plage, sans adulte, mais avec une VHF portative pour que nous venions les chercher ou en cas de problème. Nous, les adultes, discutons voiles et voyages, projets et préparatifs. Du coup, toutes les frustrations du reste de la journée sont oubliées.

31 mars

Culebrita

La journée parfaite. Il est neuf heures et quelques minutes, Sylvain et Gaétan ont terminé l’école. Ils partent avec Jacques pour faire du wake, avec les tits amis États-Uniens rencontrés deux jours plus tôt. Ce soir, nous avons rendez-vous avec l’équipage du Jayana, pour échanger repas, films, histoires de navigateurs, etc. Tiens, en parlant du Jayana, voici Sylvain et Sounda qui arrivent en annexe. Changement de programme. Ils annoncent de la houle venant du nord pour la fin de l’après-midi, donc le mouillage va devenir très roulant. De plus, le vent semble parfait pour la traversée vers St-Thomas, dans les Iles Vierges États-Uniennes (USVI), notre prochaine destination. Le rendez-vous de ce soir est annulé, ils partiront en début d’après-midi.

Vérifications faites, les conditions ne sont pas du tout idéales pour aller à St-Thomas, vers l’est, face au vent dominant, mais elles semblent moins terribles que les jours suivants. Il est 11 h 30, nous décidons de partir tout de suite. Moins de 20 miles, ça prend 3 heures dans de bonnes conditions, 4 heures dans des conditions moyennes, 6 heures avec le vent et le courant de face. Nous sommes maintenant deux milles à l’est de Culebrita. La mer est épouvantable. Les vagues devaient venir du nord-est, elles sont d’est-sud-est, énormes. Gaétan est au bord du vomissement. Le Chantemer ne peut même pas aller droit sur sa destination à cause des vagues, même si nous naviguons uniquement aux moteurs. Demi-tour. Direction : la baie de Culebrita. Nous sommes contrariés, très contrariés. Nous avons toujours du mal à encaisser les changements de dernières minutes. Et puis, il faudra bien les franchir un jour ces 17 milles qui nous séparent de la prochaine étape...

Hou-là! La baie est pleine de bateaux de toutes tailles. Nous décidons d’essayer la plage ouest, qui est bien protégée. Nous avons de la chance, il reste une bouée de libre. Hum... ce n’est pas une bouée DRNA, les bouées publiques et gratuites de Puerto Rico, mais nous verrons bien. Les deux amarres sont passées dans le cordage de la bouée. Une saute de vent fait reculer le catamaran un peu brutalement. Bang! Les deux amarres sautent sur le pont : l’anneau de corde dans lequel elles étaient passées s’est rompu. Jacques se précipite au poste de pilotage. Heureusement que les moteurs sont encore allumés! Il y a bien quelques plaques de sable qui sont visibles, mais les nombreux rochers et coraux nous incitent à ne pas nous ancrer dans le coin. Nous retournons donc à Culebra.

Bahía de Almodovar

Nous avons trouvé une bouée — en bon état celle-là. Le coin est joli, il y a du vent, mais le récif nous protège très bien de la houle. Bon, allons voir de près à quoi il ressemble, ce récif. Du sable, de l’herbe, encore de l’herbe, des bébés conques (mais pas d’adultes), des méduses « turn-over », couchées dans le sable avec les tentacules vers le haut. Le fond remonte, de plus en plus, mais il n’y a toujours que de l’herbe... Les palmes m’évitent d’avoir les genoux qui touchent le fond, un des problèmes de la brasse en eau peu profonde. Le fond remonte toujours. Là, c’est mon ventre qui commence à effleurer les algues. Brrr... Demi-tour. Il n’y a rien à voir ici.

Comme les soirées sont fraiches (nous frôlons les 25 °C) et que je préfère prendre ma douche sur le pont — à l’eau froide et au vent — que dans la « vraie » douche, je me lave tout de suite. « Le Jayana, le Jayana arrive! » Ben oui, c’est bien le Jayana. La journée se termine bien finalement, et ma pâte à pizza, qui attend patiemment au réfrigérateur depuis ce matin, va être utilisée finalement.

1er avril, Bahía de Almodovar

Nous nous sommes couchés tard — surtout les enfants — et nous avons trop mangé et trop bu. Gaétan abandonne l’école, moi aussi. Il sait bien qu’il devra rattraper son retard s’il veut jouer sur la tablette un jour. Nous ne partirons pas aujourd’hui, mais nous ferons probablement un essai demain. J’en profite pour cuisiner un peu, pour avancer mon carnet de bord. Mais qui voilà? Nos tits amis états-uniens! (Je n’ai toujours pas réussi à mémoriser leurs noms.)