Carnet de bord de Raphaëlle
Février 2015
Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...
Côte ouest, Puerto Rico (USA)
1er février, Bahía de Boquerón
De grosses gouttes de pluie me sortent de la sieste. Puisque je dois me lever pour fermer le hublot, autant me lever pour de bon. Les hommes, petits et grand, sont tous dans l’eau et jouent avec le kayak gonflable. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes pas baignés! Ici, l’eau est un peu plus claire qu’à Puerto Real, mais ça ne servirait à rien de mettre un masque. Sauter et se pousser dans l’eau, c’est idéal pour se défouler en famille.
2 février, Marina Pescaderia, Puerto Real
Comme convenu, nous sommes de retour à la marina de Puerto Real. Hanibal, l’électromécanicien, est presque à l’heure. Après plusieurs tests, il pense que l’alternateur du moteur tribord est défectueux. C’est l’alternateur que nous avons déjà fait réparer à plusieurs reprises... Heureusement, nous en avons un deuxième, qui avait été vérifié en Floride. Bon... l’alternateur de rechange est pire que le premier, Jacques est bon pour tout redémonter encore une fois. Il va devenir un vrai pro du montage et démontage d’alternateur... Pour vérifier l’engin défectueux, Hanibal doit l’amener à San Juan, ce qui sera fait d’ici deux ou trois jours... J’ai beau aimer cet endroit, je commence moi aussi à me lasser du paysage. En plus, il n’y a aucun kiosque à fruits dans les parages et le supermarché du coin ne vend que des fruits et légumes d’importation et des bananes. Je recommence à être en manque...
Comme nous n’avons pas eu l’occasion de pêcher depuis notre arrivée, nous visitons une des poissonneries du village. En fait, c’est un abri entre la rue et un quai de pêcheur qui contient deux ou trois congélateurs coffres. Évidemment, aucun prix n’est affiché. Nous fouillons un des congélateurs. Ici, ils font essentiellement de la vente en gros. Nous tombons sur des sacs avec des tentacules. « Estan calamares? » « No, octopus. » De la pieuvre? Pourquoi pas. Le sac me parait un peu gros, mais le prix à la livre est correct. La note finale est finalement salée, le sac fait six livres – soit près de trois kilos... Nous laissons le gros bloc de tentacules décongeler dans le haut du réfrigérateur.
3 février, Bahía de Puerto Real
Il est temps de démêler les tentacules. Nous découvrons deux grosses pieuvres entières. Hum... il faut probablement les éplucher... Un petit tour sur internet pour voir comment faire. Le premier site dit de faire comme pour une anguille. Je n’ai pas plus d’expérience avec les anguilles qu’avec les poulpes. Le second dit de tirer sur la peau qui s’enlève facilement. Facilement??? Au bout de deux heures, la pieuvre est enfin dépecée et j’ai mal à tous les doigts. Le pire dans tout ça, c’est que j’ai raté la cuisson. C’est très dur et beaucoup trop salé.
Il y a deux ans, après un énième repas d’anniversaire quelque peu décourageant, j’ai décidé de ne plus fêter mon anniversaire. Je ne veux plus organiser, ni même qu’on organise, un repas spécial pour cette occasion. J’aime qu’on me souhaite un bon anniversaire, mais pas de le fêter. Dans notre famille, la tradition est que chacun choisit son repas pour cette occasion. Durant plusieurs années, j’ai passé la matinée à cuisiner mon repas, choisi pour une fois seulement en fonction de mes goûts, et donc qui ne plaisait pas trop aux autres. Il y a deux ans, après des heures de cuisine et un repas morose, personne n’a réalisé que JE n’avais pas mis de bougies sur MON gâteau d’anniversaire... J’ai donc décidé que je n’aurais plus ni repas ni gâteau d’anniversaire. Moins on a d’attentes, moins on a de déceptions. La pieuvre aurait fait un excellent repas de fête, mais elle est ratée. Cela n’a aucune importance puisque c’est un repas ordinaire. Pour le dessert, nous finissons la tarte aux pommes de la veille, sans bougies. J’ai mis au frais une bouteille de Gewurtzraminer grains nobles, un des meilleurs vins d’Alsace. C’est tout de même un jour spécial. Lors de mes 25 ans, j’étais maman depuis quelques semaines et j’ai réalisé que je n’entrais plus dans la catégorie « Jeunes », c’est-à-dire les 15-25 ans. Depuis, j’ai toujours trouvé les mi-dizaines un peu plus difficiles que les âges ronds, mes 45 ans ne font pas exceptions. J’ai droit à un coucher de soleil extraordinaire pour me consoler...
4 février, Bahía de Puerto Real
Il n’y a pas que des bateaux amarrés à la marina et aux quais environnants, il y a aussi des maisons flottantes. De vraies petites maisons, entourées d’une galerie, montées sur une plate forme équipée de deux flotteurs et d’un moteur hors-bord à l’arrière. Comme le plancher est proche du bord de l’eau et qu’il n’y a aucune pointe à l’avant, c’est difficile de les imaginer prendre la mer. Et pourtant en voilà une qui se dirige droit vers la sortie de la baie. Le temps est très calme, mais je n’aimerais pas être à son bord.
5 février
Bahía de Puerto Real
Il y a des jours où tout va mal. Du moins, c’est ce que l’on ressent. 11 h. Gaétan ferme précipitamment le hublot du salon, car une bourrasque vient de secouer la grand-voile qui avait retenu la pluie de la veille dans ses plis, l’eau s’écoule par les hublots. Hum... Je me rappelle avoir dit deux jours plus tôt que l’ancre ne semblait pas tenir beaucoup, mais que nous étions tranquilles tant qu’il n’y avait pas de vent. Où est donc l’épave qui me sert de repère? Hou là! Elle est bien loin. Tiens, nous sommes maintenant au niveau de la marina. « Jacques, nous venons de traverser la moitié de la baie. T’en étais-tu rendu compte? » Je continue tout de même à éplucher ma deuxième pieuvre – selon une nouvelle méthode – en attendant que Jacques remonte de la cabine. « Heu... Jacques, nous sommes maintenant au milieu des autres bateaux, de l’autre côté de la baie. La mangrove n’est plus si loin... » La vitesse à laquelle nous dérivons est impressionnante. Le catamaran file sans heurts dans un vent constant de 15 à 20 nœuds. L’ancre doit glisser sur l’argile qui recouvre abondamment le fond marin. Le moteur bâbord fonctionne maintenant correctement en marche avant, mais il n’a aucune force en marche arrière, ce qui complique passablement toutes les manœuvres d’ancrage. Après trois essais, nous devons reconnaître que nous sommes incapables de nous ancrer de façon à résister à ce vent, qui, bien que plus fort que ces derniers jours, n’a rien d’exceptionnel. Comme les mécanos sont censés venir travailler sur le bateau au milieu de l’après-midi, nous décidons d’aller dès à présent nous amarrer à la marina.
Autre mauvaise surprise, le profondimètre ne fonctionne plus. Il n’y a plus rien à l’écran... C’est probablement encore un problème de fil ou de connexion, mais cela peut prendre des heures à comprendre le branchement complexe du pilote automatique.
Marina Pescaderia, Puerto Real
16 h 30. Le téléphone états-unien sonne. Sans surprise, l’extraordinaire Maria, l’employée de bureau de Twin Electronics qui coordonne les réparations du Chantemer, nous apprend que personne ne viendra ce jour, ni l’électricien ni le mécano. De plus, l’alternateur envoyé en révision à San Juan n’est pas encore revenu. Jacques est désespéré. Cela fait trois semaines que nous sommes à Puerto Real. Nous n’en sommes qu’au tout début de la mer des Caraïbes et, tout à coup, la fin du voyage ne parait pas si loin. Ce n’est pas vrai que nous avons le temps. Nous ne l’avons plus. Quelles que soient les difficultés, et surtout parce qu’il y en a, nous devons profiter au maximum de ce moment fort de notre vie. Jacques leur explique que, quoi qu’il arrive, nous mettrons les voiles de lendemain.
19 h. Nous profitons d’être branché à l’électricité terrestre pour regarder un sympathique film en famille. Finalement, tout ne va pas si mal : la pieuvre est excellente et fond presque dans la bouche.
6 février, Marina Pescaderia, Puerto Real
L’alternateur est de retour. Il n’avait aucun problème... L’électromécanicien le branche et il ne fonctionne pas mieux qu’avant. Le mécano a démonté et remonté l’inverseur du moteur tribord – c’est la partie qui sert d’embrayage et qui inverse le sens de rotation pour faire tourner l’hélice à l’envers. Il ne trouve pas le problème. L’étape suivante serait de sortir le bateau de l’eau pour vérifier les pièces entre l’inverseur et l’hélice, qui se trouvent sous le niveau de l’eau. Il n’y a pas les installations nécessaires pour sortir de l’eau un bateau aussi large ici, il faudra attendre Fajaldo, à l’autre bout de l’ile. À la dernière minute, je demande à l’électromécanicien de regarder le problème du sondeur. C’est bien le fil cassé que j’avais repéré qui est en cause. Lui a tous les outils nécessaires et il soude un pont en quelques minutes. Trois semaines et 800 $ de frais de main-d’œuvre plus tard (sans compter les pièces et les frais de marina...), le Chantemer fonctionne un tout petit peu mieux qu’à notre arrivée à Puerto-Rico. Comme nous l’avions annoncé, nous partons pour Boquerón avec le désir de joindre le sud de l’ile dès le lendemain.
7 février, Cabo Rojo
Enfin du tourisme! Nous visitons à pied le cap sud-ouest de l’ile : Cabo Rojo. C’est une presqu’ile qui se termine par deux collines aux falaises impressionnantes qui protège une baie et une grande plage. Derrière la plage, une ancienne saline s’est transformée en marée. Ici, la végétation est beaucoup plus aride qu’à seulement quelques kilomètres au nord. Il y a un tel contraste entre le paysage, magnifique mais désolé, de la saline et celui coloré et vivant de la plage! Nous sommes samedi. Les familles portoricaines sont venues nombreuses pour profiter de la mer. La plage est bruyante, à cause d’une énorme sono et d’un bateau qui diffusent tous deux de la musique à fond. Après plus de deux heures de marche et vingt minutes de baignades, nous revenons au Chantemer, heureux et fatigué.
Côte sud, Puerto Rico (USA)
8 février
De Cabo Joro à Parguéra
Il n’y a pas d’ancrage à l’est de Cabo Rojo. Peut-être parce que la houle y est forte, à cause de la jonction du Mona Passage, qui donne vers l’océan Atlantique, et la mer des Caraïbes. Notre prochaine halte est donc Parguéra. Comme recommandé par tous les marins, nous partons tôt, tant que le vent est calme, pour ne pas avoir à affronter le vent en plus du courant. De l’autre côté du cap, nous ne retrouvons pas la végétation luxuriante qui nous avait accueillis sur la côte ouest. Puerto Rico ressemble à un rectangle dont la longueur est parallèle au vent d’est, le vent dominant. Les nuages qui se forment sur les montagnes sont donc poussés vers l’ouest. Le matin, le ciel est dégagé et le vent est nul. Vers midi, les nuages arrivent. Il finit toujours, ou presque, par pleuvoir. De vraies averses tropicales qui durent de quelques minutes à une heure. Au plus tard au moment de nous coucher, la pluie cesse et le vent baisse. La température a alors baissé d’au moins 5 °C. Nous dormons au frais, bien collés sous la couverture, les hublots ouverts. C’est le climat
idéal... Ici, c’est visiblement beaucoup moins arrosé, les collines qui se déversent dans la mer sont arides. Par contre, une barrière de corail, en plus des nombreux ilots de mangroves, protège le littoral de la houle.
Parguéra
Nous voilà bien ancrés, dans du sable et de l’herbe, au large de Parguéra. Des kites, là-bas, près des ilots! S’il y a des kites, c’est qu’il y a une plage. Nous embarquons enfants et matériel dans l’annexe. Ben non! Il n’y a pas de plage, mais des dizaines de bateaux de toutes tailles et une multitude de personnes qui barbotent dans une eau plus ou moins profonde, claire et chaude. Jacques se renseigne auprès de locaux et se résigne à gonfler son kite sur l’annexe. Heureusement, il a sa pompe électrique et elle fonctionne. Au moment du décollage, un gentil monsieur vient à ma rescousse et prend le kite pour aider Jacques à décoller. Je suis soulagée. Je ne suis pas encore super à l’aise pour les décollages et, sans plage pour y appuyer le bout du kite, je ne voyais pas trop comment j’aurais pu la relever pour lui permettre de prendre le vent. L’eau jusqu’aux fesses, je me promène avec l’appareil photo muni du gros zoom. Dans tous les cas, les gens ne mettent pas 15 secondes avant de voir que nous sommes des touristes, alors pourquoi me priverais-je de ma boite à souvenirs? J’observe plus ou moins discrètement les gens autour de moi. C’est comme dans les parcs au Québec en été. Les familles sont venues se retrouver pour la journée, avec des glacières pleines de bières et de sodas, des parasols, des fauteuils, des jeux pour les enfants et même des barbecues.
Sauf qu’au lieu de s’installer autour des tables à pique-nique, ils s’installent autour de leu
r bateau. Les fauteuils flottent, les glacières sont à l’ombre dans la mangrove, les parasols sont plantés dans le sable... au fond de l’eau. Alors que je prends en photo un barbecue sur pilotis, un groupe de femmes prend la pause avec moult sourires. Je les photographie, puis nous commençons un peu à discuter, en
anglais. Jannina à trois fils, de 7 à 15 ans. Seul le plus petit ne fait pas encore de kite, mais il est impressionnant en wake (planche de kite tiré par un bateau). Elle nous invite à prendre contact quand nous serons près de chez elle, sur la côte est. C’est certain que nous ne manquerons pas cette belle occasion de discuter avec des Puertoricains kiteurs, qui ont en plus des enfants plus ou moins du même âge que les nôtres!
9 février
Parguéra
Une barrière de mangrove protège cette petite ville. On y trouve de nombreux bateaux, à des bouées ou à quai. La rive est bordée de maisons sur pilotis, certaines avec un garage à bateau attenant. Il y a de la couleur et de la musique partout, généralement trop
forte, mais qui donne une ambiance de fête perpétuelle. Parguéra fait penser à une ville balnéaire, avec son camping, ses hôtels modestes et une multitude de petits restaurants. L’épicerie est relativement bien fournie, ce qui ajoute encore à l’attrait du coin.
Deux grosses masses grises menaçantes traversent le ciel, engendrant de fortes rafales, mais n’apportant que quelques gouttes de pluie. Les grosses averses passent juste derrière les premières collines. Nous avons rempli les réservoirs d’eau en quittant la marine de Puerto Real, nous sommes donc contents de ne pas nous faire mouiller.
Bio Bay
Nous sommes ancrés en plein dans la baie bioluminescente. Le temps est idéal, légèrement couvert, et la lune n’est pas encore levée. Nous allons faire un tour en annexe. Pour mieux profiter de la nature et du spectacle, nous éteignons le moteur et nous continuons à la rame. C’est beau, mais le reflet du feu de mouillage du Chantemer, tout en haut du mat, nous gène. Un bateau de touristes s’est ancré un peu plus loin, il serait surprenant qu’un autre bateau arrive maintenant, nous prenons donc le risque de laisser le catamaran tous feux éteints. La nuit n’est pas complètement noire, il y a des villes partout sur cette grande ile, les bords de la baie sont parfaitement visibles. Nous repartons, mais nos bras commencent à fatiguer alors nous décidons de rentrer. J’ai envie de me baigner, mais j’ai déjà pris ma douche et l’averse du soir, si elle n’est pas passée sur nous, a quand même fait chuter la température. De plus, il reste une bonne brise. Bref, ce ne sont pas des conditions qui donnent envie de prendre un bain de nuit, même dans une mer parfaitement calme et chaude. Puis, l’évidence me frappe. Si je ne me baigne pas ce soir, je le regretterais. Alors je prends mon masque et je me jette à l’eau. C’est incroyable, indescriptible. Nous avons l’impression d’être la Torche humaine dans Les 4 Fantastiques. La lumière semble jaillir de nous. Plus le mouvement est lent, plus les points lumineux sont perceptibles. La vitesse crée un faisceau qui nous suit. C’est une chorégraphie de lumière qui nous entoure... Le simple frottement du masque dans l’eau provoque des étincelles qui glissent devant nos yeux. Sylvain et Gaétan sont tout aussi stupéfaits du spectacle. C’est certain que cette expérience restera un des moments forts de notre périple.
10 février, vers Guánica
Je ne comprends pas pourquoi le siège du capitaine me fait un tel effet. En navigation, il suffit que j’y sois assise à côté de Jacques depuis 10 minutes pour avoir des envies, des idées... Est-ce parce qu’il est torse nu? Est-ce son rôle de capitaine? Est-ce l’air marin qui nous fouette le visage? Est-ce à cause de lui ou du siège? Pour en avoir le cœur net, il faudrait que j’essaie avec un autre capitaine... Malheureusement, les enfants ne sont jamais très loin. Nous ne pouvons pas les enfermer dans le bateau et nous ne pouvons pas laisser le catamaran sans surveillance passive durant la navigation. Il ne me reste donc plus qu’à réfréner mes phantasmes...
11 février, Baie de Guánica
Ensenada
La petite localité au bout de la baie souffre manifestement de la fermeture de l’usine locale, qui produisait du sucre de canne. Nous rencontrons une toute petite dame, sympathique et très bavarde, qui ne parle pas un mot d’espagnol, mais qui fait signer une pétition pour que la ville
soit nettoyée et revitalisée. Elle nous explique que sa mère est née ici et qu’elle-même a décidé de venir y prendre sa retraite alors qu’elle avait toujours vécu sur le continent. Du coup, Jacques et moi entrevoyons un beau et gros projet pour cette ville. Construire une marina sur la Punta Pera, une langue de terre au milieu de la baie, site de l’ancienne usine. Il ne manque plus que les sous (et beaucoup d’énergie) pour lancer le projet. Tout est dans nos têtes. Mais par où pourrions-nous commencer un tel projet, dans un pays dont on ne connait pas la mentalité d’affaire (et qui est connu pour être corrompu) et dont nous ne comprenons que
quelques mots de la langue? Nous ne sommes plus assez fous, ou peut-être plus assez jeunes, pour mener un tel projet. Et pourtant, je suis convaincue que ça marcherait. On pourrait faire une sorte de coopérative, en partenariat avec la municipalité et en s’assurant de l’adhésion et de la participation des villageois. Le projet pourrait se baser sur la dimension humaine et le respect de l’environnement. Il ne faudrait pas grand-chose pour doper cette baie sur le plan touristique. Pour commencer et pour marquer la fin de son ère industrielle, il faudrait démolir les ruines des anciennes usines. À ce propos, pourquoi les entreprises qui construisent des usines ne sont elles pas obligées, dès l’investissement initial, de verser à un fond un certain pourcentage du coût de construction en prévision du démantèlement et de la réhabilitation du site? C’est tellement facile, du moins en Amérique-du-Nord, pour une entreprise de faire faillite et de décréter qu’elle n’a pas les moyens de remettre le site en état. Au Québec, plusieurs anciennes mines en sont de tristes exemples.
El Río Loco
Enfin, nous avons découvert l’entrée de cette rivière folle. Cette fois, nous avons bien repéré l’entrée sur la photo satellite. Nous traversons donc le rideau de racines de mangroves, sous le regard méfiant des iguanes qui se dorent au soleil,
dans les branches. Le méandre est suffisamment profond pour avancer au moteur. Nous avons l’impression qu’un crocodile pourrait surgir à tout moment, c’est très dépaysant. Un gros « plouf » nous fait sursauter! Mais non, ce n’est pas un crocodile, il n’y en a pas sur cette ile. Ce n’est qu’un gros iguane qui vient de se laisser tomber dans l’eau.
12 février
Guánica
Jacques a envie de bouger, nous avons du temps à rattraper après nos trois semaines à Puerto Real. J’arrive à le convaincre de faire une promenade sur les hauteurs de Guánica, jusqu’à la plage à l’entrée de la baie puis au phare, avant de changer de mouillage. J’aurais aimé visiter le fort qui domine la région, mais il n’y a aucun sentier visible depuis le village. Le seul chemin répertorié doublerait la ballade. La plage est mignonne et semble abandonnée même s’il est évident que les poubelles sont vidées régulièrement. Nous continuons la ballade par un sentier, en espérant qu’il mène au phare. Au bout d’un quart d’heure, nous sommes convaincus que nous n’allons pas vers le phare, mais vers le fort. Comme le sentier est joli et ombragé, nous décidons de continuer, ce qui m’enchante. Après une heure de marche, nos efforts sont récompensés par une vue époustouflante sur 360°. Tout comme nous, les garçons sont outrés par tous les graffitis qui défigurent ce monument de 1895.
Pour le retour, nous tentons le « raccourci », à flanc de montagne. Heureusement qu’il y a un câble pour se retenir tout au long du sentier, la descente est plus que raide!!! Arrivée en bas, j’ai les jambes et les bras tétanisés et je suis épuisée. Mais quel plaisir!
Gilligans Island
Ce nouvel ancrage est magnifique. Au vent, mais à l’abri de la houle, l’eau est parfaitement transparente. Comme la journée n’est pas encore finie, nous descendons l’annexe pour visiter le parc sur l’ile Gilligans. Au retour, le voilier qui vient d’arriver semble très populaire! Il a déjà la visite des deux autres bateaux à l’ancre et d’un local. C’est Jacques qui réalise qu’ils sont dans le trouble. En effet, ils sont échoués juste en avant du Chantemer. Bien entendu, nous joignons nos efforts aux autres. Différentes configurations sont testées... Finalement, Rafael, le local qui est venu à leur rescousse, tire le
haut du mât par la drisse de grand-voile pour faire giter le bateau tandis que les trois annexes poussent de l’autre côté. Je suis sur le pont pour servir de balancier et aider le voilier à pencher. Hou là, là! Je ne suis pas habituée aux monocoques!!! Lorsque nous approchons les 45°, j’ai vraiment peur de tomber. Mais la manoeuvre réussit et le bateau de Sarah et Stéphane est remis à flot. Sylvain et Gaétan sont stupéfaits de voir que tout le monde est venu les aider. Je leur explique que « tout le monde » sait qu’il pourrait être à leur place un jour...
14 février, Punta Jacinto, Guánica
Comme nous devons échanger films et photos, nous avons de nouveau invité Sarah et Stéphane pour le souper (ils étaient déjà venus la veille). Quand nous les interrogeons sur leur projet de navigation, ils nous confient qu’ils vont peut-être l’écourter, ils naviguent depuis trois mois. Jeunes, très sportifs et sans enfants, ils se trouvent improductifs et leurs journées n’est pas assez remplies. C’est vrai qu’à les entendre, ils débordaient d’activités tripantes telles que piloter un hélico, faire de l’escalade, etc. Malheureusement, je n’ai pas eu la présence d’esprit de leur demander quelles étaient leurs attentes face à ce voyage. C’est toujours intéressant de comparer ce que les gens cherchent et ce qu’ils trouvent, cela permet de mieux nous comprendre nous même.
13 février, Punta Jacinto, Guánica
En déambulant dans les rues (il y en a trois), nous rencontrons Rafael dans la cour de sa maison. C’est lui qui était venu au secours de Sarah et Stéphane la veille. Nous discutons un peu, et il nous propose d’utiliser son quai pour notre annexe, de prendre son eau pour
remplir nos réservoirs et de prendre une douche dans son jardin. Sa générosité ne
s’arrête pas là! Il nous offre en plus de nous conduire en ville, où il a à faire. Jacques a quelques scrupules, mais j’ai tellement envie de fruits que j’accepte. En plus, cela fait une bonne occasion de discuter avec un Puerto-Ricain (il parle parfaitement anglais).
En nous emmenant au supermarché, plus tard dans l’après-midi, il fait le détour par trois kiosques de fruits (les productions locales ne sont pas vendues dans les supermarchés et les épiceries, mais dans des kiosques au bord des routes) et un petit pont suspendu qui traverse le Río Loco, dont nous lui avions parlé. La famille de Rafael était propriétaire de toute la pointe. Il a conservé une grande maison avec des appartements touristiques qu’il loue à la journée ou à la semaine. Il est capitaine d’un grand bateau-casino en Louisiane, sur le Mississippi, et voyage donc sans arrêt entre l’ile et le continent. Pour couronner le tout, c’est un kitesurfeur!
Isla Cara de Muertos, Puerto Rico (USA)
15 février
Quel nom épeurant pour une si belle ile : le visage des morts. Belle, mais protégée. L’accès sur terre est très limité. Je dois donc renoncer à grimper au sommet de la pointe sud, qui est pourtant si invitante... Les enfants doivent aussi regarder les vagues de loin, sur la plage est (face à la houle), puisque c’est une ère de reproduction de tortues. La plage publique est magnifique et nous l’avons juste pour nous puisque le transbordeur est parti à 3 heures 30, emportant les visiteurs diurnes. L’aménagement est trop béton à mon goût, ce qui dépare un peu l’ile. Ce qui est surprenant, c’est qu’il n’y a aucune poubelle – et aucun déchet qui traine! C’est une ile où chacun doit reprendre ce qu’il y a amené. Un excellent principe dans un lieu si fragile. Comment font les autorités pour que toute la population suive cette directive?
16 février
Voilà de quoi motiver la troupe pour faire rapidement l’école : « Nous voudrions faire un pique-nique en haut du phare, mais nous ne pourrons le faire que si l’école se termine tôt ». Je profite des activités où ils n’ont pas besoin de moi pour confectionner des petits pains blancs. Sitôt les pains refroidis, l’atelier sandwiches commence. Chacun se prépare son repas – selon ses goûts – et a la responsabilité de les emballer et de le mettre dans son sac. Au moins, je ne subirais aucune critique sur le contenu des sandwiches. Curieusement, alors que nous sommes presque tout le temps avec eux, ce voyage est une occasion incroyable pour les enfants de devenir plus responsables et plus autonomes. Non seulement ils sont responsables de leur pique-nique, mais ils doivent en plus porter leur repas et leurs bouteilles d’eau. Là aussi, ils doivent apprendre à gérer leur réserve. S’ils boivent tout au début de la promenade, où s’ils renversent leur eau, ils devront attendre le retour au catamaran. Ça peut paraître dur, mais c’est plus juste pour moi (moins de travail et moins de poids dans mon propre sac) et très éducatif. La ballade et le pique-nique sont un succès.
Côte sud, Puerto Rico (USA)
17 février, Jauca
Nous quittons la Isla Cara de Muertos une heure après Free Range, le bateau de Stéphane et Sarah, et leurs bateaux copains. Nous devrions les retrouver à Salinas en fin de matinée. Passé la pointe de l’ile, ça commence à brasser, nous suspendons donc l’école. Petit à petit, le vent forcit et la houle se creuse : courte, profonde, couverte de moutons. Le vent oscille maintenant entre 20 et 25 nœuds, drette dans la face. Même avec les moteurs à bon régime, nous avançons à moins de 3 nœuds. Les voiles sont rentrées. Il faudrait faire tellement de zigzags pour remonter le vent que cela quadruplerait le voyage. Aurions-nous du courant contraire en plus de vent? Sylvain et Gaétan s’endorment, ce qui est la meilleure façon de combattre le léger mal de mer qu’ils ressentent. Ce vent n’était pas annoncé dans les sites de météo que nous avons consultés. Depuis que nous sommes à Puerto Rico, les vents prédits sur nos sites de références ne correspondent en rien à la réalité... Le moteur bâbord, celui qui n’a pas de puissance en marche arrière, vibre de manière inquiétante. Cette traversée devait durer moins de trois heures, elle semble maintenant interminable. Quelles sont nos options? Il y a une petite baie, à 5 milles à l’ouest de Salinas. Il faut encore tenir une heure, pour dépasser les Cayos Cabezazos, puis nous pourrons piquer au nord. Nous n’aurons plus le vent de face et le récif devrait nous protéger des vagues. Il y a longtemps que nous n’avons pas eu de conditions de mer aussi difficiles.
Une petite houle entre dans la baie, mais rien de bien méchant. L’ancre va-t-elle tenir? Avec ce vent, si c’est de l’argile comme à Puerto Real, nos déboires de la journée ne sont pas finis... Ouf! L’ancre accroche du premier coup, le catamaran s’arrête net. Nous sommes donc ancrés au pied du champ de grandes éoliennes, qui agrémente le paysage depuis notre départ de Guánica. Sont-elles bruyantes? Pour l’instant, ce sont les nôtres que nous entendons... Malheureusement, la seule plage où nous pourrions accoster avec l’annexe est très exposée aux vagues. Tout le reste de la baie est bordé de maisons, nous ne repérons aucun passage. Nous devrons donc nous passer d’une visite terrestre. Si tout va bien, nous partirons demain matin, à l’aube, le moment de la journée où le vent est le plus calme.
18 février, Bahía de Salinas
Nous avons retenu la leçon de la veille. Notre destination n’est qu’à 5 milles, mais nous partons dès le lever de soleil, sans attendre que le vent ne se lève : il sera en pleine face. En arrivant dans la baie de Salinas, nous passons devant un bateau battant pavillon canadien et québécois, mais il n’y a personne sur le pont.
Stéphane, du Free Range, vient nous voir. La veille, ils étaient partis une heure avant nous et avez réussi à se rendre à destination. Alors que nous discutons sur la passerelle arrière, l’annexe du bateau québécois vient vers nous. Des enfants, il y a trois enfants à bord!!! Les jeunes vont à la piscine de la marina tandis que les parents vont faire le lavage. Bonne idée! Nous ferons la même chose dès que l’école sera terminée. Bon, il faudra aussi attendre que Jacques répare le moteur de l’annexe... Nous arrivons finalement à la marina. L’équipage du Marama a presque fini de sécher son linge et, autour de la piscine, les enfants font rapidement la connaissance de Thierry, 12 ans, Cassiane, presque 10 ans, et Emanuel, qui va sur ses 8 ans. Par hasard, nous nous retrouvons l’après-midi sur le chemin du supermarché à deux kilomètres de là. C’est la première famille de navigateur que nous rencontrons depuis le début de cette aventure, en plus, ils sont francophones!
Nous partageons saucisses, pains et trempettes de légumes sur le Chantemer. La discussion roule bien. Quel plaisir d’entendre l’accent québécois! Je me suis rendu compte qu’en parlant du Québec je dis « chez nous », alors que je dis « en France » lorsque je parle de mon pays natal. Ce séjour dans le sud me permet de mesurer mon attachement à cette nation. Déjà minuit??? Vite, au lit les enfants... et les adultes aussi! C’est la première fois que nous nous couchons si tard depuis notre départ.
19 février, Ponce
Les deux familles ont loué chacune une voiture. L’équipage du Marama doit se ravitailler et nous, nous voulons visiter Ponce. Nous décidons donc de partir ensemble visiter Poncé, à une demi-heure de voiture, et de nous séparer dès que nos intérêts divergeront. Quel plaisir de voir les enfants jouer ensemble! Ils se sont retrouvés le matin comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Cassiane, Sylvain et Gaétan forment le noyau. Manu, d’une logique implacable et très bavard, trouve sa place sans difficulté. Thierry, à l’aube de la préadolescence, navigue entre les adultes et les jeunes. Aucune dispute, aucun cri. Malgré leur manque de sommeil, les enfants sont des anges.
Il ne faut pas longtemps pour s’apercevoir que les Porto-Ricains sont de fervents catholiques. En voyant une femme se confesser à genoux à un prêtre en soutane, j’ai eu le réflexe de vérifier si c’était des statues dans un décor. Mais non, le prêtre fait exactement les gestes et les mimiques que nous voyons dans les films d’époque...
Vu que nos enfants ont le même âge, les propositions des uns rallient les autres. Nous repartons finalement ensemble de Ponce pour aller au Wal-Mart, qui est sur le chemin du retour. Nous décidons de faire les courses chacun de notre côté, mais nous nous croisons bien vite au milieu des allées. Les cinq enfants jouent alors à repérer les uns et les autres aux quatre coins du magasin. Une des curiosités concernant les enfants, c’est que plus ils sont fatigués, plus ils courent...
Pour finir la soirée, nous nous retrouvons autour de pains et de fromages. C’est notre dernier moment ensemble, puisque nous avons prévu de partir le lendemain matin vers l’est et qu’eux vont poursuivre leur route vers le Québec, donc vers l’ouest puis le nord.
20 février, Bahía de Salinas
En allant faire le plein d’essence de la voiture de location, avant de la rendre, Jacques va remplir les jerricanes de l’annexe. Stéphane, de Free Range, profite du voyage et lui annonce qu’ils annoncent pas mal de vent pour les trois prochains jours. Nous avions prévu de partir pour une baie, bien protégée elle aussi, à quelques milles de là, mais qui n’offre aucune possibilité d’aller à terre. Si nous devons y rester plusieurs jours, nous risquons de trouver le temps long. Nous décidons alors de rester à Salinas et de profiter gratuitement de tous les avantages de la marina, dont la piscine. Les Maramariens vont avoir une surprise en revenant de San Juan ce soir...
Enfin au lit. Un peu de lecture permet de préparer le corps et l’esprit à s’endormir. Mais le coin du drap me chatouille. Je le pousse de mon coude et il tombe sur ma jambe. Ahhh, une grosse bête! En l’envoyant promener, elle atterrit sur Jacques. Plus rapide que moi, il allume la lumière (nous lisions tous deux sur les tablettes) et en vient à bout grâce à la bombe insecticide et à la tapette à mouches. L’intrus fait presque 4 cm de long et ressemble bigrement à une coquerelle (cafard)... Pourvu qu’il vienne juste de s’introduire dans le bateau – mais toutes les moustiquaires sont fermées – et que, si c’est une femelle, elle n’a pas eu le temps de pondre ses œufs... Les coquerelles sont un des ennemis redoutés des navigateurs.
21 février, Bahía de Salinas
Alertes!!! Des charançons dans le couscous! Il y a deux semaines, j’avais découvert trois boites en carton de pâtes infestées, et j’avais (naïvement) espéré qu’il n’y en aurait pas d’autres. Il n’y avait alors rien de visible et je n’avais pas trop fouillé. Toute ma réserve de couscous est foutue! Et il n’y en a pas dans ce pays, il va falloir attendre les iles françaises pour refaire le plein. Le couscous était dans une boite en plastique, mais dont le couvercle est parfois mal fermé. Il n’y a plus qu’une chose à faire : tout sortir, tout inspecter et tout nettoyer : des heures de plaisir... Comme la plupart des aliments sont en conserves ou ont été réemballés dans des boites en plastique, il n’y a pas tant de perte que ça.
La coquerelle hier, de plus en plus de fourmis (des minis, des petites et des grosses), des charançons... Quelle sera la prochaine étape? Des pucerons dans mes herbes??? Heureusement, l’inspection de la réserve de nourriture sous notre lit, de nuit et à la lampe torche, ne révèle aucun cafard, même sous mes grosses casseroles. Reste que la bête que nous avons tuée hier est peut-être une femelle et qu’elle a peut-être déposé ses œufs quelque part...
22 février, Bahía de Salinas
Nous sommes dimanche, à jour pour le programme de l’école, mais à la veille de deux belles journées de traversées. Ce serait bien de prendre de l’avance sur l’école, même si j’avais prévu de faire un peu de kayak – j’ai toujours aimé en faire tôt le matin, avant que le vent ne le lève et que le soleil chauffe trop. En plus, je n’ai pas encore préparé le plan détaillé de la semaine... Mais Jacques se propose pour faire l’école, il prend souvent le relai quand les enfants réussissent à user ma patience, et je peux rapidement compléter le rpogramme pour cette première journée. « Ah non! Pas question de faire l’école!!! C’est dimanche et nous ne sommes pas en retard! » Eux, tout ce qu’ils attendent c’est de profiter une dernière fois de la piscine de la marina. Le manque de motivation – le mien et celui des enfants – prend donc le dessus sur les bonnes intentions.
Jacques les accompagne à la piscine, et fait une lessive durant ce temps, tandis que je fais des conserves, de la cuisine, du rangement... Lorsqu’ils reviennent, je suis en train de réparer le câble électrique qui va de la génératrice aux prises 110 V, je suis installée sur le trampoline, entourée d’outils. Jacques s’empresse d’étendre le linge, tant qu’il fait beau (le temps change très vite). L’inversion de nos rôles habituels me fait sourire.
23 février, Patillas
Cet ancrage n’est pas prisé par les marins, car il est un peu houleux et les fêtes, chaque fin de semaine, sont très bruyantes. Mais nous sommes lundi et suffisamment enfoncés dans la baie pour être à l’abri de la houle. La pluie du matin a laissé place à un ciel dégagé, ce que nous avons rarement eu en après-midi. Comme nous sommes curieux, nous allons visiter la côte. La rue principale se termine par un chemin de terre qui s’enfonce dans la forêt. Un chemin comme je les aime, recouvert par un dôme de végétation et dont on ne connait pas la destination. Une nouvelle aventure s’offre à nous. Le sentier débouche parfois sur la mer et nous regardons les vagues qui se cassent sur une barrière rocheuse, plus ou moins loin de la rive. Gaétan râle un peu, mais la perspective de trouver un coin où se baigner dans les vagues à raison de sa mauvaise humeur. Nous marchons longtemps avant de trouver la plage, la végétation est variée, nous sommes à l’ombre et du vent passe à travers les arbres.
Enfin, la plage. Mais les vagues sont tellement puissantes que les jeunes se contentent de se faire mouiller, mais ne s’immergent pas complètement. Pour le retour, nous marchons d’un bon pas dans la crainte d’une attaque sournoise des moustiques, au déclin du soleil. En allant à terre, nous ne savions pas ce que nous allions trouvé. Cette forêt n’est mentionnée dans aucun des guides que nous avons consultés. La plupart des navigateurs s’arrêtent ici juste pour la nuit et ne prennent pas la peine de poser le pied à terre. Nous avons fait une magnifique balade qui nous a procuré une saine fatigue. C’est encore un des trésors cachés de Puerto Rico, combien en avons-nous laissé passer?
24 février, Patillas
Il est 6 heures. J’aime quand nous partons juste avant l’aube, quand la nuit n’est plus si noire et permet de distinguer la mer du ciel. En partant de bonne heure (on pourrait dire à la bonne heure), nous évitons les forts vents de face et la mauvaise mer qui suit inévitablement. Si la douce brise de terre ne nous permet pas d’avancer à la voile, au moins elle ne nous ralentit pas. Il fait rapidement jour, mais nous avons encore deux heures avant que le vent d’est se lève, et trois avant que la mer soit mauvaise. Nous avons donc décidé de faire le trajet vers Fajaldo, où nous espérons faire réparer les moteurs une fois pour toutes, en petites étapes matinales. Ce n’est pas bon pour l’école, mais nous avons l’impression de rentabiliser pleinement nos journées.
Hum... l’alarme du niveau de la pression d’huile du moteur tribord vient de se déclencher — c’est le moteur qui fonctionnait bien. Jacques avait bien remarqué de la fumée dans le mélange eau de mer-air de l’échappement, mais nous espérions que toute intervention pourrait attendre notre escale technique dans quelques jours. Nous éteignons donc ce moteur, pour attendre que l’huile redescende afin de vérifier son niveau. L’alarme peut aussi avoir été déclenchée par un capteur défectueux. Le moteur à un peu refroidi. Jacques contrôle les niveaux, il manque en effet de l’huile. Heureusement, nous avons ce genre de stock à bord. Oh oh... le moteur refuse de redémarrer. C’est difficile d’entendre ce qu’il se passe à cause du bruit de l’autre moteur. Il semble que rien ne se passe lorsque la clef est tournée à la position de démarrage. Ça semble encore être une panne d’électricité. L’environnement marin est tellement corrosif! Jacques vérifie les fusibles, les cosses, etc. Cela peut paraître facile, mais la mer est maintenant forte et les vagues viennent face à nous. Le bateau donne des coups. Jacques est à genoux, en équilibre sur le rebord du coffre contenant le moteur, la tête plus basse que les fesses, les pieds (presque) au-dessus de l’eau. Il a enfilé le gilet de sauvetage, c’est vous dire la précarité de sa position. Ça ne fonctionne toujours pas... Je sors alors les livres techniques sur le moteur. Tiens, il y a un relais électrique qui permet de fermer le circuit électrique lorsque la clef est tournée, c’est probablement lui qui est en panne. Jacques, avec son bon sens habituel, répond alors qu’il suffit de l’échanger avec le relais de chauffe des bougies d’allumage. Et ça fonctionne!!! Le stress de Jaques vient de descendre de plusieurs crans. La suite de la navigation se passera sans incident.
Côte est, Puerto Rico (USA)
24 février (suite), Cayo Santiago
L’ile aux singes. C’est interdit d’y poser les pieds, mais nous prenons les kayaks pour nous approcher de la rive. C’est la première fois que je vois des singes en liberté dans leur milieu naturel. Enfin, je pensais que c’était leur milieu naturel. Après la lecture de différents guides, je découvre que ce sont des singes rhésus et non des singes verts, comme on en trouve dans les Bahamas (nous ne les avons pas vus), qui font l’objet de recherches. Ils font l’objet de recherches ou ils servent à la recherche? Peu importe, en les voyant de si près et sans aucune barrière entre eux et nous, nous nous sentons privilégiés.
25 février, vers la Marina Puerto del Rey, Fajardo
Enfin, la course vers l’est — face au vent dominant — est terminée, du moins pour quelque temps. Globalement, nous nous dirigerons face au vent dominant jusqu’à Saint-Martin, l’ile moitié française, moitié hollandaise. Mais là, nous remontons vers le nord de Puerto Rico, pour sortir le bateau de l’eau en vue de réparer les moteurs une bonne fois pour toutes (du moins nous l’espérons...). Enfin, nous sortons la grand-voile. Quel plaisir de voguer avec les éléments et non contre eux!
Malika a confirmé sa venue mi-mars, durant sa semaine de congé. C’est elle qui paye son billet d’avion. Elle a tellement aimé son séjour à Noël qu’elle veut encore en profiter. Elle a bien raison! Et elle ne sera pas la seule à en profiter.
26 février
Marina Puerto del Rey, Fajardo
Heureusement que nous n’avions pas besoin du calme du matin pour progresser selon notre itinéraire, car le vent n’a pas faibli de la nuit. La houle est très forte et la minuscule zone d’ancrage à l’entrée de l’immense marina n’est pas vraiment protégée. Heureusement, les vagues viennent de face, mais je ressens tout de même un léger malaise. Le mécanicien Volvo vient comme prévu. Sans surprise, il nous annonce qu’il vaut mieux enlever les moteurs pour les faire nettoyer et changer tous les joints à son atelier, ce qui nécessite de mettre le catamaran en cale sèche. La sortie de l’eau est prévue pour lundi (nous sommes jeudi). En étant optimiste, le Chantemer devrait retrouver son élément dès le vendredi suivant. En étant réalistes, nous espérons qu’il ne restera au sec qu’une semaine. En étant pessimistes, les bernacles et les algues auront peut-être le temps de mourir et de se détacher d’elles-mêmes... Normalement, nous devrions pouvoir continuer à vivre dans le bateau durant les travaux.
Isla Palominos
Ouf! Nous avons quitté la baie de Puerto del Rey. Malheureusement, il y a très peu d’ancrage sur la côte est. Il faut dire qu’elle est face aux alizés et qu’elle se prend la houle de plein fouet. Nous sommes donc allés à la Isla de Palominos, à 5 milles au nord-est de la marina, pour profiter de nos dernières journées sur l’eau. Des zones d’ancrage sont bien indiquées sur une de nos cartes électroniques, mais cela semble impossible à cause des coraux. Nous prenons donc une bouée de jour en espérant que nous ne nous ferons pas chasser.
Isla Palominos, Puerto Rico (USA)
27 février
Mais d’où me vient cette envie de partir en courant? Pourquoi ce malaise devant les chaises longues alignées sur la plage? Je ne comprends pas mon aversion pour ces sites à touristes, elle n’a rien de rationnel. Une chose est certaine, j’ai envie de fuir, tout en reconnaissant que l’agencement est bien fait et a de quoi séduire... les autres. Heureusement, l’île est bien aménagée. Nous parcourons les sentiers très peu fréquentés, d’un point
de vue à l’autre. « Jacques, dépêche-toi, la pluie arrive! » Nous avions bien repéré le nuage noir au loin, mais nous ne pensions pas qu’il arriverait si vite sur nous. Nous accélérons le pas, puis nous courrons sur la plage, sous une pluie diluvienne. Les gouttes sont chaudes et me réconfortent. Nous rejoignons les enfants qui étaient restés pour jouer sur la plage proche de l’annexe. À peine arrivés au Chantemer, la pluie cesse. Nous sommes trempés, ou plutôt rincés puisque nous sommes en maillot de bain et que nous sortions de la mer. Courir sous la pluie m’a – presque – toujours mise de bonne humeur. Pourquoi? Mais d’abord, pourquoi est-ce que je ressens le besoin de comprendre d’où proviennent toutes mes émotions???
28 février
C’est la fin de semaine. À quoi cela se voit-il? Pas parce qu’il n’y a pas d’école. Du fait de nos traversées matinales, nous avons réparti la première journée d’école sur lundi et mardi. Du coup, nous faisons l’école même si nous sommes samedi... Le vrai signe de la fin de semaine, ce sont les bateaux qui affluent pour profiter de ce petit coin de paradis. Les locaux profitent aussi de la mer chaude et des belles plages.