La descente vers le sud des Bahamas :
des Abacos à
Long Island

Carnet de bord de Raphaëlle

Novembre 2014

Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...

Abacos, Bahamas

1er novembre, Marsh Harbour

À l’époque où les dictons météorologiques étaient fiables, début novembre marquait la fin de la saison des ouragans. De nos jours, avec le réchauffement de la planète et les perturbations qui l’accompagnent, il peut y avoir des ouragans jusqu’en décembre. La NOAA (organisme états-unien qui surveille la météo de l’Atlantique Nord) cesse d’émettre ses avis au 30 novembre. Même si nous ne sommes pas absolument à l’abri, la pression baisse d’un cran. Nous aurons finalement fait le bon choix en restant dans les Bahamas pour la « mauvaise » saison. Nous avons eu de la chance; les années se suivent et ne se ressemblent pas. Si nous étions allés nous réfugier dans le sud des Caraïbes, nous sortirions en ce moment de la zone protégée. Surtout, il nous parait maintenant évident que la course vers le sud, telle que nous l’avions envisagée, aurait été vraiment difficile et décourageante pour tous. Nous avons hâte de rencontrer du monde, de voir les mouillages pleins de bateaux comme sur les photos. Nous avons hâte de rencontrer des familles qui naviguent. Mais pour faire nos classes, c’était vraiment rassurant d’avoir autant de place que nous voulions pour nous ancrer.

La sieste

La sieste est quasi quotidienne. Il faut vraiment que nous soyons à terre pour y renoncer. Comme le budget restaurant est très limité, nous mangeons presque toujours dans le catamaran et donc, nous faisons la sieste. Étrange coutume de la famille Chenal, la sieste. Mais je m’y suis vite adaptée. Un 20 à 30 minutes de sieste vous recharge les batteries pour tout le reste de la journée. Les plus efficaces sont celles où je me réveille en sursaut, sans savoir où ni quand nous sommes. Les plus terribles sont celles qui se prolongent, le corps restant alors englué de sommeil pour un long moment. Les meilleures sont celles où Jacques et moi sommes collés, très collés. Un autre avantage de faire la sieste quotidiennement, c’est que c’est alors beaucoup plus facile de l’imposer à nos enfants, qui malgré leurs 9 et 10 ans, en ont bien besoin de temps en temps.

2 novembre, Marsh Harbour

Nous sommes venus à Marsh Harbour pour nous protéger du fort vent de nord-ouest qui était annoncé. Pour une fois, nous l’avons eu, jusqu’à 30 nœuds. Seulement 30 nœuds? diront les marins d’expérience. Ben voilà, nous ne sommes pas encore des marins d’expérience. Au Québec, quand le vent souffle à 30 nœuds (55 km/h), les branches tombent des arbres (de préférence sur les fils électriques) et les vagues déferlent dans la cour d’école (qui donne sur le lac St-Louis). L’ancre a bien tenu, la houle a diminué grâce au vent qui a tourné. Par contre, c’est l’éolienne qui n’a pas tenu le coup. Alors que nous avons enfin réussi à remonter le niveau des batteries! En Floride, nous avons racheté des batteries neuves. Les nôtres n’avaient que 3 mois, mais on les avait un peu fusillées en faisant nos essais avec le dessalinisateur. Alors nous avons acheté des batteries de voiturette de golf, qui sont censées être des « vraies » batteries à décharge profonde, contrairement aux batteries marines (il y a vraiment des choses que je ne comprends toujours pas en électricité...). Mauvaise surprise : les batteries neuves n’étaient chargées qu’à 50 %... Il en faut des ampères pour recharger un tel parc de batteries! Et quand on n’est pas dans une marina, donc pas relié à un chargeur de quai 110 V, il en faut du soleil sur nos trois panneaux solaires! Notre belle éolienne est silencieuse, ce qui est une excellente qualité, mais elle ne charge qu’un ampère avec un vent de 10-15 nœuds.

Donc notre très attendue éolienne, que nous avons installée en Floride, a eu un bon rendement les dernières 24 heures. Un 10 à 15 ampères avec un bruit tout à fait raisonnable, sauf lors des grosses bourrasques qui faisaient vibrer sa queue. Ce matin, elle fait un bruit infernal. Pour la descendre, il faut arrêter les pales... Ils annoncent du vent pour toute la semaine. Si c’est une vis qui est en train de se desserrer, nous ne pouvons pas attendre. Bref, nous bloquons les pales et nous inclinons le mât, Jacques a fait un super travail de conception et de réalisation avec son mât pivotant. Nous resserrons toutes les vis, nous remettons tout en place. Aïe aïe aïe!!! Ça fait encore plus de bruit! Rebelote. Cette fois, nous démontons tout. Ça à l’air qu’un roulement à billes est endommagé... Impossible de faire jouer la garantie...

Pour oublier le vent froid (20 deg. C sans le facteur vent) et la houle, nous regardons un film en famille... en mangeant le reste des bonbons d’Halloween. Après tout, nous avons plein d’électricité...

3 novembre, Marsh Harbour

Nous avons hâte de quitter cette ville que nous trouvons triste; son seul intérêt est les magasins, même si nous pensions en trouver plus. C’est quand même la 3e ville des Bahamas, avec 4 000 habitants... Nous portons l’ordinateur à réparer (nous avions cassé l’écran du 1er ordinateur quelques jours après avoir reçu le nouveau : un ordi pour quatre, ce n’est pas assez...). Nous effectuons les derniers achats : un roulement à billes pour l’éolienne, des filtres pour l’eau potable, une dernière épicerie (à pied, il faut multiplier les visites au supermarché), quelques cossins pour le bateau, etc. Le temps de remonter l’éolienne, Jacques m’étonne encore par sa ténacité et sa capacité à réparer les machines, il est 17 h. Trop tard pour partir ce soir, nous passerons une nuit de plus ici. Nous ne pouvons pas nous baigner, mais comme il fait un froid polaire (j'exagère un peu, mais nous sommes loin de la chaleur tropicale), l’eau n’est pas très accueillante de toute façon.

À chaque pays ses défis

Malheureusement, les décharges sauvages existent dans (presque?) tous les pays. Aux Bahamas, ils ont un déchet très particulier et assez encombrant, même s'ils ont trouvé mille et une façons de l'utiliser. Sa durée de vie? Difficile à évaluer, ça se compte certainement en dizaine d'années.

4 novembre, Marsh Harbour

Tentative

Le vent n'a pas beaucoup baissé, mais il a tourné à l'est ce qui multiplie les possibilités d'ancrages protégés. Ils annoncent 20 à 25 noeuds. Jacques a envie de faire de la voile. Pourquoi pas? C'est notre semaine de récupération pour l'école et tout le retard est comblé. Le moteur bâbord ne démarre pas. Notre moteur fiable, celui qui ronronne depuis le départ. La batterie est bonne, le préchauffage fonctionne. Je pompe, je repompe, tandis que Jacques est au tableau de bord. On laisse reposer. Finalement, il démarre. Le moteur de tribord, celui qui nous a donné tant de misère jusqu'à ce que Jean-Pierre trouve en quelques minutes que le relais de chauffe était brisé, celui auquel nous avons changé l'alternateur un bon nombre de fois, démarre du premier coup. Mais aucun signe de charge! Encore un alternateur de brûlé??? Nous éteignons le moteur, sauf que maintenant, il n'y a plus aucune lumière au tableau de bord. Jacques trouve un fusible bizarre. Il en frotte les bornes et ô miracle, l'électricité est à nouveau normale, le moteur démarre. En route pour le grand large, cette mer Abaco plus petite que le lac St-Louis sur le St-Laurent. La houle est formée, mais rien d'impressionnant. Il y a des grains pas trop loin. J'aimerai bien de la pluie pour remplir nos réservoirs, mais je la préfère nettement à l'ancre qu'en navigation. Jacques avait raison de vouloir prendre deux ris sur la grand-voile (système pour réduire la surface de toile au vent). Je regarde l'anémomètre : 30 noeuds!!! "Jacques, vite, il faut prendre un ris sur le génois!" Je vais ensuite au pied du mât pour ranger les cordages. En cas d'urgence, il ne faut pas qu'ils s'emmêlent ni que nous nous prenions les pieds dedans. Les rafales sont tellement fortes que la glène s'envole. Je reviens au cockpit pour demander à mon capitaine préféré d'aller directement à un abri plutôt que de "s'amuser" à la voile. Je commence à ne plus m'amuser du tout. Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il m'annonce que nous allons faire demi-tour. Retour à Marsh Harbour. Je ne le contredirais pas.

4 mois

Nous sommes dans les Bahamas depuis 4 mois, depuis le 4 juillet 2014. C'est vraiment à Bimini que j'ai eu le sentiment que notre voyage commençait. La période comprise entre le départ de la maison et les premières formalités douanières tiennent, pour moi, des préparatifs et non du voyage. 4 mois... le tiers d'une année... Non, notre périple ne peut pas être aussi court! Je me vois encore à bord dans un an, mais cette décision dépendra beaucoup de la location de notre maison et nous n'en aurons probablement pas de nouvelles avant fin mars. Rentrer à la maison, c'est bien trop tôt. Je commence à réaliser que notre relation avec nos grands enfants a définitivement basculé. S'ils restent notre fille et notre fils à tout jamais, ils ne sont plus nos enfants au sens des relations parents-enfants. Ils nous racontent désormais ce qu'ils veulent bien, ce qu'ils ont envie de partager avec nous. Rentrer à la maison, alors qu'eux parlent de partir à Strasbourg ou à Ottawa pour leurs études. Ils ont bien raison. Les voyages forment la jeunesse, et la vieillesse aussi. Sommes-nous vieux? Moins que dans 10 ans, c'est certain.

5 novembre, Marsh Harbour

Il n'y a pas d'autobus ici, mais des bateaubus qui vont dans les différentes îles des Abacos. Le nombre de personnes qui prennent ces transports maritimes est vraiment impressionnant. Travailleurs anonymes, comme chez nous, dans les bus. Font-ils tous semblant de ne pas se connaître? Où au contraire, se connaissent-ils tous? J'aimerais prendre un de ces bateaux, sentir l'ambiance, parler avec eux, essayer de comprendre leur quotidien, essayer de mieux comprendre ce pays qui nous héberge depuis déjà quatre mois. Manque de temps, manque d'argent... La traversée, aller simple, coûte tout de même 17 $. J'espère que les locaux ont des abonnements intéressants.

6 novembre, Hope Town, Elbow Cay

Hope Town ressemble aux autres petites villes des Abacos, excepté Marsh Harbour. C’est mignon, fleuri, bien entretenu. Nous arrivons sur la plage qui est superbe. Pour les enfants, la mer est leur quotidien, la plage est une exception recherchée. Il n’y a presque pas de vent et l’eau est plus chaude dans l’océan que dans la mer Abaco. Il y a une famille proche de nous, avec un garçon d’à peu près leur âge. Coups d’œil en biais de part et d’autre. On sent que l’envie de communiquer est là, mais la gêne et la barrière de la langue sont plus fortes.

Au nord de l’ile, nous marchons sur la rue devenue sentier, en quête d’un passage vers l’océan. Que des résidences privées... aucun passage public! Jacques finit par dénicher un escalier qui passe par une maison qui semble abandonnée. Mais où est Gaétan? Il a probablement pris de l’avance pour jouer plus longtemps au parc. C’est le premier parc que nous voyons dans les Bahamas. Effectivement, nous l’y retrouverons 20 minutes plus tard.

Conserves de conques : suite et fin

C’est le temps de tester nos conserves de conques. Ce n’est pas pour répondre à une envie irrésistible de ce coquillage goûteux, nous en trouvons de temps à autre, mais pour libérer les pots. Il n’en reste pas assez pour faire une fournée de légumineuses. Je vous entends d’ici : pourquoi s’embêter à faire tremper, cuire, stériliser des pois chiches alors qu’on en trouve en boite presque partout? Pour quatre bonnes raisons :
— Quand on commence à faire ses propres conserves, le goût métallique des boites industrielles (en plus d’être généralement trop salées) a du mal à passer.
— C’est lourd les conserves, surtout quand il faut les porter 20 minutes dans un sac à dos.
— Une fois vides, les boites de métal prennent presque autant de place qu’avant de les ouvrir. Les déchets sont un problème pour tous les bateaux qui évitent les marinas.
— Un sac de légumineuses ne coûte presque rien, ne prend pas de place et se conserve même sous les tropiques. Un couvercle de pot Mason coûte quelques sous. Le coût propane (c’est quand même 2 h sur le feu) dépend de là où l’on fait le plein. Avec nos 4 bouteilles, nous pouvons éviter les tarifs exorbitants.
Une autre solution serait de faire cuire ces fantastiques légumineuses au fur et à mesure. Mais 12 heures de trempage et 2 heures de cuisson sont bien trop de planification pour moi.

Revenons à nos conques. J’ouvre le premier pot : l’odeur est insupportable, l’aspect mousseux est louche même s’il n’y a pas eu de fermentation puisque le sceau était intact. Vite à la mer. Et les autres pots avec. Essai raté. Mais si nous n’avions pas essayé, nous n’aurions pas su. Dans l’affaire, on a perdu quelques couvercles et une demi-journée. Il reste de tout cela un bon souvenir, donc nous n’avons finalement rien perdu du tout.

J’étends les serviettes de plage en regardant le fond de la mer, par habitude. Le vent est complètement tombé; il n’y a plus de frontière entre l’eau et l’air. Mais, que vois-je? Une conque??? Elle n’a pas l’air d’avoir de trou... La tentation est plus forte que la fraicheur de la mer : mon masque, mes palmes, et hop! à l’eau. La mer, si généreuse, a voulu nous consoler en nous offrant une de nos plus belles prises (nous ne trouverons aucune autre conque, ni grande ni petite, dans le secteur). Celle-là finira en chien-chaud (hot-dog). Ben quoi? Ils font bien des chiens-chauds au homard dans le Maine et des hambourgeois au foie gras à New York! Les conques sont santé, sans gras et bien moins chère que les saucisses (surtout ici). Sans parler du goût, nettement plus intéressant (surtout quand elles sont revenues dans du beurre et de l’huile d’olive).

7 novembre, Marsh Harbour

Nous étions ici il y a une semaine exactement. Une petite nuit d’escapade, et nous voilà de retour dans cette ville que nous n’aimons pas. Tout ça pour ne pas récupérer l’ordinateur, dont le nouvel écran est bloqué à la douane (il n’y a pas qu’au Québec que ce genre de contrariété se présente...). À ce train-là, nous serons encore dans les Bahamas pour accueillir Malika et Martin à Noël. Bah, nous n’avions pas d’itinéraires prévus ni d’échéances, mais j’aimerais bien aller jusqu’au sud de l’arc antillais, tout de même.

L’autoclave siffle, les conserves de pois chiches et d’haricots pinto finissent de cuire. Quand je vous dis qu’il faut être vraiment débrouillard pour vivre sur un bateau, et apprendre à faire avec les moyens du bord! La sécurité de la cuisinière est un peu trop sensible. Quand la casserole devient très chaude, elle prend la moindre variation de température pour une flamme éteinte et elle s’empresse de couper le gaz. Sauf que pour la rallumer, il faut que ce satané capteur chauffe suffisamment pour que la sécurité soit certaine que le gaz est bien allumé. Les variations de température sont assez critiques lors d’une stérilisation, alors j’ai patenté un dispositif pour court-circuiter l’empoisonneuse sécurité en maintenant le bouton enfoncé (mais juste celui-là, pas les autres). J’en ai fait des essais avant de trouver l’objet qui avait juste la longueur requise! Et c’est une excellente excuse pour ne pas faire la vaisselle, puisque l’accès à la cuisine s’en trouve bloquée.

8 novembre

Marsh Harbour

Marcher. Marcher pour le plaisir des grands. Marcher pour fatiguer les enfants. Nous marchons vers le nord de Marsh Habour. Passé les marinas et leurs boutiques, nous arrivons dans le quartier huppé. Les jardins, qui sont magnifiques, sont protégés par des murs de deux mètres. Il n’y a bien entendu aucun accès à la mer. Nous débouchons sur le quai des traversiers, une jolie place bien aménagée où l’on peut voir la mer des deux côtés. Nous n’irons pas plus loin, car c’est carrément le chemin qui devient privé.

Hope Town, Elbow Cay

Les gars sont partis à la plage jouer dans les vagues. Enfin seule sur le bateau! Ça fait du bien. C’est un des aspects du travail à domicile que j’aimais : être seule chez moi, dans le calme et le silence, sans déranger personne. Ce n’est pas la première fois que je suis seule à bord, mais ça fait longtemps que ce n’était pas arrivé. N’imaginez pas que je suis étendue dans le hamac en regardant l’horizon... Je suis restée pour faire le pain, préparer une tarte au sucre et cuisiner une pizza maison. L’activité ne m’empêche pas de savourer la tranquillité très temporaire.


9 novembre

Hope Town, Elbow Cay

Ce serait le dernier phare à kérosène et sur lit de mercure des Bahamas. En tout cas, c’est le premier vrai phare que nous y voyons. La porte est ouverte, la visite est libre. Nous laisserons quelques dollars dans la boîte prévue à cet effet. Monter dans un phare est toujours impressionnant. Je suis en admiration devant la vieille armoire en bois massif, arrondie au diamètre intérieur du phare. Du vrai travail sur mesure. D’en haut, la vue respecte ses promesses. Nous savions que Elbow Cay était étroite au niveau de notre mouillage, mais voir l’océan si proche rend la protection de l’ile bien précaire.

Tahiti Beach, sud d'Elbow Cay

Nous avons repris notre route vers le sud. Nous sommes maintenant ancrés au sud d’Elbow Cay, 2,5 miles au sud d’Hope Town, qui est à la même latitude que Marsh Harbour. Ce n’est pas la distance, mais la direction qui compte. La température de l’air n’est pas plus élevée, mais la mer y est plus chaude (à cause de la proximité d’une passe vers l’océan, pas du fait de la latitude). Tahiti Beach est une plage sympathique, surtout à marée basse. Il ne reste qu’une petite pointe de sable à marée haute; il y a un bon mètre de marnage dans les Abacos. Sympathique, mais sans rien d’exceptionnel, mis à part son potentiel pour un spot de kite (mais il n’y a plus de vent...). À cause de son nom, je suis un peu déçue.

Front froid

J’ai fait quelques progrès en lecture de nuage. Un front froid arrive, c’est sans équivoque. J’avoue, nous avons consulté la météo... Mais même sans cela, j’aurais prédit qu’un front froid arrivait, les orages devraient être sur nous dans quelques heures.

10 novembre, Tahiti Beach, sud d'Elbow Cay

Le front froid est arrivé (vraiment froid), voilà le coup de vent annonçant la pluie. Il est plus prudent d’allumer les moteurs, au cas où l’ancre décrocherait. Une fois de plus, le moteur bâbord cahote et refuse de démarrer. Les voyants du moteur tribord ne s’allument même pas... À peine le capot du moteur tribord ouvert, je repère un fil qui s’est débranché. Le moteur démarre. Je pompe manuellement le carburant du moteur bâbord pendant que Jacques prolonge le préchauffage. Le deuxième moteur fini par démarreur. C’était un bon exercice de gestion de moteurs qui refusent de démarrer dans une situation urgente. Nous n’étions pas dans une situation d’urgence, mais elle aurait pu le devenir. Il va falloir que nous révisions le moteur bâbord; quelques heures de plaisir à venir, les yeux plongés dans les manuels et les mains dans le cambouis...

Voir la pluie arriver sur un plan d’eau est impressionnant. La surface de la mer devient blanche, à cause des gouttes qui ricochent sur l’eau. Ainsi, on voit vraiment venir le grain et l’on en devine la densité. Celui-là est aussi impressionnant en précipitation qu’il est lent à arriver. Ça y est, il pleut des cordes. Le tonnerre se fait entendre au loin, trop loin pour être inquiétant, mais il perturbe sérieusement l’école qui a du mal à reprendre après la semaine de récupération. Dans le calendrier scolaire, j’ai prévu une semaine de récupération toutes les 7 semaines. Récupération à double sens : récupération des journées d’école en retard s’il y en a (ce qui enlève de la pression les jours de traversée ou d’activités exceptionnelles) ou récupération de l’esprit lorsque l’école est à jour. Nous avons comblé nos deux jours de retard qui trainaient depuis notre départ de Floride et nous avons eu sept jours de repos. Les conditions se calment, il est temps d’éteindre les moteurs qui tournent depuis une heure.

11 novembre, Tahiti Beach, sud d'Elbow Cay

Jaqcues et moi nous levons de la sieste, les enfants dorment encore. La reprise de l’école est très dure depuis la veille. Quelle idée de regarder les 6 films de Star-Wars et de les envoyer se coucher à 10 heures du soir, et ce, 6 jours de suite! Ah, ces parents! Une semaine de vacances et ils se permettent de bousculer tout l’horaire des écoliers... J’emmène Jacques à la plage, avec son matériel de kite. Les conditions de vent et de plage sont propices à un autodécollage et à un autoatterrissage. Je guette le décollage depuis le Chantemer. Il m’appellera depuis la VHF portative lorsque je devrai le chercher. Les garçons se lèvent. Ils se font un peu prier pour aller à la plage, Gaétan n’est pas bien réveillé. Je leur propose d’amener leur livre, même si je suis convaincue qu’ils ne liront pas. Arrivés sur la plage, les deux gars ont retrouvé leur bonne humeur et leur envie de jouer sur le sable. J’ai à peine le temps de prendre des photos que Jacques me fait signe pour l’atterrissage. Même s’il peut le faire seul, avoir quelqu’un pour récupérer le kite sur le sable sec est à la fois plus facile et plus sécuritaire que le poser seul sur l’eau. Le soleil est revenu, heureusement car le vent est froid. Nous jasons avec un passant, le kite est un bon moyen pour entamer les discussions. Les garçons jouent sans se bagarrer. Des séances de kite comme celle-là, j’en veux bien tous les jours!

12 novembre

Snake cay

Nous visitons le lagon compris entre la côte est de Great Abaco Island et les ilots qui la bordent. Il n’y a aucune activité humaine récente ici. Le paysage n’a rien d’impressionnant, mais nous n’aurions pas eu l’impression de visiter les Abacos si nous avions ignoré cette partie. Je teste une nouvelle technique de pêche : repérer les langoustes depuis l’annexe. Ce n’est ni confortable ni efficace...

Tiloo Cay

Depuis deux jours, les mouches nous envahissent. Des mouches noires, ordinaires, qui ne piquent pas mais qui sont très achalantes. Elles sont arrivées juste avant l’orage, mais elles ne sont pas parties avec... Il y en a tant que nous pensions qu’elles venaient du bateau. Mais non! Nos poubelles sentent bon (oui, c’est possible si tous les contenants sont nettoyés et si on n’y met aucun déchet organique) et le congélateur congèle. Et puis, elles ne nous lâchent pas quand nous sommes sur les iles. Dans le Chantemer, elles trouvent un refuge à la brise et elles se précipitent dans le carré. Tour à tour, nous nous défoulons à la tapette à mouches. Ça reste le moyen le plus efficace pour les éliminer. C’est écologique (pas de produits chimiques), économique (réutilisable) et bon pour la santé (ça défoule en titi!). Malgré nos nettoyages fréquents, il y a des cadavres et des traces de mouches écrasées partout. C’est dégueulasse... Hier, nous pensions en être venus à bout, mais non, elles sont de retour en force aujourd’hui. Impossible de faire la sieste.

13 novembre, Little Harbour

Je ne savais pas que les arcs-en-ciel se couchaient. C’est la première fois que j’assiste à un coucher d’arc-en-ciel. À moins qu’il ne soit en train de se lever? Peu importe, c’est magique. La mer offre de si belles surprises! Depuis ce matin, il pleut. Ce n’est qu’un petit crachin qui ne mouille pas vraiment, mais qui fait de jaillir les couchers d’arc-en-ciel. Les Britanno-Colombiens et les Bretons diraient certainement qu’il fait beau. C’est comme notre mouillage : il n’est pas bien protégé et il y a une petite de houle, mais nous, nous ne nous rendons même pas compte que le bateau bouge. Tant qu’on n’a pas besoin de se cramponner ni de tout sécuriser à bord, le mouillage est considéré comme calme.

Little Harbour n’est pas un vrai village, juste quelques maisons et une galerie d’art appartenant au fondateur du village, qui était déjà un sculpteur de bronze célèbre avant de civiliser ce coin de Great Abaco Island. Du moins, c’est ce que dit notre guide, car moi, je ne connais rien à l’art. Peter Johnston, vous connaissez? Moi, non. J’aurais bien décoré ma maison avec quelques-unes de ses œuvres, mais l’art est un luxe qui n’est pas compatible avec nos choix de vie. En plus d’une jolie ruelle en sable, Little Harbour possède une grotte intéressante, une plage en cours d’aménagement et un joli jardin de corail. Tout un paradis! Sauf qu’il n’y a aucune facilité pour les plaisanciers : pas d’épicerie, pas de poubelles, par d’eau, pas de magasin BTC pour acheter une carte internet, etc. Seulement quelques bouées, mais nous préférons subir un peu de houle à l’extérieure de la baie et conserver nos 20 $. À grand voyage, petit budget.

Cet après-midi de tourisme est bien reposant après une matinée d’école assez éprouvante. Gaétan a encore fait des siennes ce matin, je ne sais plus quoi faire ni quoi dire pour le motiver à faire l’école. Les moyens de pression sont assez limités sur un bateau. En plus, je suis dans mon « SPM ». C’est à 44 ans que j’ai eu mon premier SPM, il y a 6 mois. C’est vraiment pénible (pour tout le monde). J’ai eu bien de la chance d’y avoir échappé pendant 32 ans. J’attends la délivrance de la ménopause avec impatience...

14 novembre, Cherokee

Je tombe immédiatement sous le charme de Cherokee. Qu’a-t-il de plus que les autres villages des Abacos que nous avons visités? En fait, rien. Il n’a rien de plus, il n’a que des moins. Ici, pas de grosses maisons sur le bord de mer, pas de maisons de location (qui sont charmantes mais faites pour séduire), pas de colline (le village est plat). Il y a des petites maisons partout, plus ou moins récentes, en plus ou moins bon état, mais toutes colorées. Une seule maison détonne un peu, elle est blanche, massive, à deux étages, ce qui a aussi un certain charme. Nous croisons deux métis, un frère et une sœur d’âge primaire. Ce sont les premiers métis que nous voyons dans ce pays de noirs et de quelques blancs. Mais quelle est la proportion des blancs qui sont bahamiens de naissance? L’épicerie est bien garnie, les prix sont affichés et ils vendent des cartes BTC! Nous allons enfin avoir de l’internet.

Alors que nous attendons sur le quai adjacent à la laverie, nous jasons un peu avec un pêcheur qui répare un problème électrique sur son bateau.
— Avez-vous l’heure?
— Il est 4 heures.
— Vous voulez dire 3 heures?
— Non non, 4 heures.
— Ça ne se peut pas, mon fils sort de l’école à 3 heures, il ne peut pas être 4 heures.
En effet, tous nos appareils sont déréglés d’une heure... Depuis quand? Probablement depuis le 2 novembre, lorsque plusieurs d’entre eux sont passés automatiquement à l’heure d’hiver de l’Est et que je les ai remis à l’heure. Peut-être que notre erreur est bien plus ancienne... En tout cas, cela explique pourquoi nous trouvions un bon nombre de magasins fermés alors que nous pensions être dans les heures d’ouverture!

De retour au Chantemer. Vite : internet, la météo, les courriels, les billets d’avion pour Malika et Martin sont-ils encore disponibles? Internet nous avait lâchés au moment de conclure la transaction... Impossible de nous connecter. Nous retournons à terre pour voir si la gentille madame de l’épicerie peut nous aider. Il n’y a pas de bureau BTC ici. Les Bahamiens, noirs ou blancs, sont vraiment gentils. Le monsieur de magasin va chercher son téléphone dans l’auto, pour vérifier s’il est capable de se connecter. Il n’y arrive pas. Il interpelle une cliente (tout le monde se connait dans un village d’une centaine de maisons) pour lui demander si elle a du réseau. Elle nous apprend que BTC a été « up and down » toute la journée. Elle nous fait comprendre d’essayer plus tard. « On parle de BTC. Aux Bahamas, il faut être ni pressé ni exigeant... » Bon, toujours pas d’internet...

15 novembre, Cherokee

« Qu’on est donc ben chanceux d’être là! » dis-je à Sylvain et Gaétan qui sont en train de lire à mes côtés. La plage est belle, même si elle ne fait pas partie des 10 plus belles plages du monde. Le soleil est bas, la brise un peu fraiche. Jacques est en train de s’amuser avec un de ses kites. Des moments de grâce comme celui-là, même quand on vit dans un bateau et qu’on ne travaille pas (du moins, qu’on travaille seulement pour nous même et pas pour de l’argent), nous les savourons, car ils ne sont pas si nombreux. Je me contredis; j’ai toujours dit que ce projet ne relevait pas de la chance, mais qu’il était la conséquence de choix de longue date jumelés à une absence de malchance. Peu importe, il faut prendre conscience de ces petits moments de bonheur. En fin de compte, ce sont eux qui font que nous nous sentons heureux.

Eleuthera, Bahamas

16 novembre, vers Eleuthera

« Il est 6 h! » Je n’étais que dans un demi-sommeil; je me lève rapidement, m’habille chaudement. Il fait vraiment noir dehors. Nous n’avons pas d’internet depuis plusieurs jours. Nous avons eu la météo en anglais sur la VHF, mais nous ne sommes pas sûrs d’avoir bien compris. Ont-ils annoncé du vent de 5 à 10 nœuds ou de 15 à 20 nœuds? Nous n’avons que 50 milles à faire, mais nous voulons arriver de jour. Notre vitesse moyenne devrait être entre 4 et 7 nœuds. À 4 nœuds, il nous faudra 13 heures, mais nous ne disposons que de 12 heures de l’aube à l’aurore. En navigation, on ne prend pas de risques. Il est 6 heures, je suis habillée et je monte. « Jacques, il n’est que 5 heures... » Puisque nous sommes prêts, nous partons tout de suite avec une heure d’avance sur l’horaire. Un croissant de lune éclaire un peu la mer, entre deux nuages. Le plus gros danger à éviter est un voilier qui a mouillé en plein dans le passage (qui est par ailleurs très large) et qui a eu la bonne idée d’allumer son feu de mouillage. J’allume les feux de navigation. Comme d’habitude, tout reste noir... En général, il faut tapoter le boitier et ils s’allument, mais là, ça ne marche pas. Bon, je n’ai pas allumé le bon disjoncteur. Maintenant, le feu blanc arrière s’allume, mais pas le feu rouge et vert à l’avant du bateau. Heureusement, celui-là est à hauteur de bras, ce n’est pas comme le feu de mouillage. Nous changeons l’ampoule; nous sommes enfin prêts à partir.

Ça souffle à 20 nœuds et la houle est bien plus forte que ce à quoi nous nous attendions. Comme nous avons maintenant plus de quatre mois d’expérience, tout est rangé à bord et le moteur de l’annexe est sur son support, au cas où ça brasserait plus que prévu. L’annexe est suspendue à des bossoirs à l’arrière du catamaran. Les bossoirs sont un des points faibles des catamarans Leopard de cette série, ils ont tendance à s’arracher. En plus, l’annexe est trop basse; lorsque les vagues viennent de l’avant du bateau, elles soulèvent la barque qui retombe alors en donnant une forte secousse. Le moteur a un poids important et augmente la tension, c’est pourquoi il faut le retirer du tableau arrière du zodiaque pour le déposer sur un support. L’avantage de notre bateau, c’est que l’annexe est très accessible, qu’elle soit remontée sur les bossoirs ou posée sur l’eau. C’est pratique, car nous sommes toujours en train de la charger ou de la décharger; c’est comme un coffre de voiture. En plus, l’annexe est complètement à l’extérieur du catamaran, la plate forme arrière reste donc dégagée en tout temps. Nous attendons la clarté du jour pour monter la grand-voile, avec deux ris. Il est maintenant 6 heures (en vrai, cette fois).

La houle nous arrive de trois quarts avant, une bonne grosse houle, assez rapprochée. Le Chantemer roule plus qu’il ne tangue. Gaétan est malade, il vomit deux fois. C’est la première fois qu’il est malade à ce point-là. Une fois de plus, nous avons l’impression que ces vagues-là sont encore plus grosses que les plus grosses que nous avions subies jusque là. Une chose est certaine, nous n’avons jamais eu autant de vagues par-dessus le pont, jusque dans le cockpit. Le vent faiblit un peu, nous tirons le génois au complet et nous relâchons un ris. Le vent refuse et nous sommes maintenant au près serré, notre vitesse oscille autour de 5 nœuds. Nous n’avançons plus qu’à 3,5 nœuds, malgré un vent apparent de 20 nœuds à 40 degrés. Il doit y avoir du courant, nous traversons un passage profond entre deux archipels. Jacques démarre les moteurs pour maintenir une vitesse de 5 nœuds. « Bang!!! » Bon, qu’est-ce qui a encore lâché? C’est un des bras horizontaux qui tient le mât de l’éolienne qui s’est décroché. Première étape : immobiliser les pales. J’attrape la gaffe pour mettre l’éolienne perpendiculaire au vent. Comme le mât est penché, Jacques n’a pas besoin de monter sur le tabouret pour atteindre l’attache et se sert de ses immenses bras. Cette manœuvre-là est bien rodée. Comme l’éolienne fait énormément de bruit à faible vitesse (vitesse en deçà de laquelle elle commence à produire de l’électricité), nous la bloquons presque chaque soir. Évaluation des dégâts : c’est une vis de retenue qui s’est desserrée, le tube est sorti de son logement. Rien de brisé, c’est juste démonté. Pour le fixer, il faut que je tienne le mât vertical pendant que Jacques enfonce le tube et remet la vis en place, debout sur le tabouret et en utilisant ses deux mains. Nous enfilons les gilets de sauvetage et nous mettons des anti-glissants sous le tabouret (il y a toujours autant de houle). Sylvain est chargé de lancer la bouée de personne à la mer au cas où... Tout se passe finalement bien! Le mât est refixé, l’éolienne relâchée. Avec ce vent, elle nous fournit 3 à 4 ampères, c’est toujours ça de pris. Moi qui rêvais d’une traversée tranquille...

17 novembre, The Bluff

The Bluff est tout sauf touristique. Est-ce un village typique des Bahamas? Il ne peut pas y avoir un village typique, car le tourisme est tellement présent qu’un village sans installations touristiques n’est pas représentatif. Comme bien des pays, les Bahamas se déclinent de bien des façons. Même le nom du pays est au pluriel! Ce village ni touristique ni particulièrement beau est sympathique. Nous ne croisons que des noirs, beaucoup d’enfants (c’est la sortie de l’école). Ici, il n’y a rien pour intéresser les plaisanciers : pas de marina (seulement un quai en béton), pas de boutiques pour bateaux, pas de plage, pas de coraux... Encore plus qu’ailleurs, tous ceux que nous croisons nous gratifient d’un grand sourire et d’un joyeux bonjour. Ils semblent contents que des touristes viennent visiter leur village. Un bar laitier! Ici, il n’y a qu’un tarif : celui pour les locaux. À 2 $ le cornet à deux boules, nous nous payons notre première crème glacée depuis notre départ. Il fait 27 degrés et très humide; il y avait longtemps que nous n’avions pas transpiré autant. Nous sommes ici par « accident météo ». Le vent de sud ne nous a pas permis de nous ancrer à Spanish Wells (en fait, on aurait pu s’ancrer, mais ça aurait été inconfortable et nous n’aurions pas pu descendre l’annexe). Outre Royal Island où nous étions la veille, The Bluff nous a semblé un bon ancrage dans ces conditions. C’était un choix judicieux.

Retour au quai. Un homme nous aborde gentiment, nous pose quelques questions, affirme qu’il fait la meilleure salade de conque de toutes les Bahamas. Il aimerait bien convaincre la communauté et le gouvernement d’investir pour développer le tourisme à The Bluff. Nous parlons bateau, il répare le sien. Une petite fille vient lui parler. Prise d’une inspiration soudaine, je les invite à venir visiter le Chantemer. J’ai toujours rêvé qu’un marin voit nos regards envieux lorsque nous visitions les marinas et nous invite à visiter son bateau. Cela ne nous est arrivé que deux fois, lors de la journée porte ouverte du Beaconsfield Yatch Club. Gubby accepte et appelle son fils de 10 ans, que je n’avais pas remarqué.

Nous embarquons tous les 7 dans l’annexe; pas de problème, la mer est calme. Après avoir fait le tour du catamaran, nous offrons bières et sodas à nos hôtes. Jacques accompagne Gubby chez lui pour chercher de quoi nous faire une salade de conque. Il y en a trois qui trainent dans une bassine, le reste de la dernière pêche de Jacques à Cherokee. Je reste à bord avec les quatre enfants, qui sympathisent et trouvent des jeux malgré la barrière de la langue. Sylvain et Gaétan comprennent quelques mots d’anglais, Junior et Lea comprennent quelques mots de créole, cette langue dérivée du français que les Haïtiens ont répandue dans toutes les caraïbes. Ni riche ni pauvre, Gubby multiplie ses activités pour vivre : pêche, aménagements paysagers, restaurant roulotte, concours de salade de conque (il a gagné un prix de 1 000 $!), etc. Il est né aux Bahamas, de parents haïtiens qui sont ensuite partis aux États-Unis. Il rêve d’ouvrir un restaurant bahamien au Canada, subventionné par le ministère du Tourisme des Bahamas. Nous garderons nos réserves pour nous. Il a beaucoup de bagou et il a vraisemblablement bu quelques bières avant d’embarquer avec nous. C’est difficile de croire tout ce qu’il dit, mais il est vraiment sympathique. Tout en discutant, il vide et épluche une conque aussi facilement que si c’était une pomme... Sa façon de manier le couteau pour couper les légumes et la conque ne laisse aucun doute sur son expérience de cuisiner. La salade de conque est excellente! Tout est ciselé finement, le dosage des aliments est parfait, il n’y a aucun morceau dur, l’orange amère parfume agréablement la salade sans la rendre trop acide. Cette salade n’a rien à voir avec celle que nous avions goutté dans les Berry, qui sentait trop l’oignon, trop la lime et dont certains morceaux étaient difficiles à macher. Si vous faites un tour à The Bluff, demandez au premier passant que vous croiserez où gouter la salade de conque de Gubby, elle vaut le détour.

18 novembre, Spanish Wells

Le vent a viré au nord, un nouveau front arrive. Nous nous dépêchons de faire nos courses à Spanish Wells avant l’arrivée de la pluie. Enfin, un magasin BTC! Nous allons peut-être pouvoir régler notre problème d’accès à internet. Oups! Ça n’ouvre qu’à 9 h 30. Nous avons remis nos montres à l’heure, mais nous nous levons toujours avec le soleil. Le jour ne dure que 12 heures, il faut en profiter dès le matin. La carte d’accès à internet enfin activée, nous pouvons refaire les recherches pour les billets d’avion de Martin et Malika. La carte précédente avait expiré au moment de finaliser la transaction. Tiens tiens, nous retrouvons le premier tarif que nous avions vu. C’est donc vrai que les plates-formes de vente de billets en ligne telles qu’Expedia nous reconnaissent et montent les prix lorsque nous revenons sur un billet repéré précédemment. Donc, si vous voulez avoir vraiment des tarifs avantageux, il faut supprimer l’historique de navigation et les cookies de votre ordinateur pour retrouver le tarif le plus bas.

Nos enfants seront là dans quatre semaines, j’ai du mal à y croire. Ils me manquent tellement... Nous les recevrons dans les Turcs et Caicos, cette colonie anglaise qui ressemble beaucoup aux Bahamas (elle en faisait partie avant l’indépendance en 1973), dont 80 % de la population voudrait devenir une colonie canadienne (la Nouvelle-Écosse est prête à les annexer), mais dont le gouvernement Harper (gouvernement fédéral conservateur) ne veut pas. Pendant deux semaines, nous allons pouvoir vivre cette vie à six. Pas tout à fait cette vie, car les plus jeunes seront également en vacances. Deux semaines sans école à bord...

19 novembre

Royal Island

Le vent souffle un bon 20 nœuds avec des rafales. Nous sommes bien à l’abri dans un vaste havre naturel qui ne communique avec la mer que par une passe assez étroite. Il fait gris, mais la pluie n’est pas au rendez-vous. Depuis la traversée entre Great Abaco et Eleuthera, le bateau est tellement recouvert de sel que toutes les surfaces semblent huileuses. Il fait tellement humide que rien ne sèche. Toutes les surfaces extérieures (et une bonne partie des planchers) sont recouvertes de gouttes d’eau saturées en sel. Partira, partira pas? Ils prévoient du vent jusqu’à 25 nœuds, ce n’est pas dangereux, mais ça peut être inconfortable. Le mauvais temps est prévu pour plusieurs jours. Le vent devrait tourner à l’est puis au sud, direction de nos prochaines directions, ce sera donc des conditions encore moins favorables à court terme. D’un seul coup, les 350 milles (à vol d’oiseau) et la quinzaine d’iles qui nous séparent des Turcs et Caicos nous paraissent bien grands. Nous n’avons plus qu’un mois pour nous y rendre. En naviguant jour et nuit, ça pourrait se faire en moins de quatre jours avec des conditions pas trop défavorables, mais considérant notre allure depuis le départ, il va falloir que nous accélérions un peu. Donc nous partons. Inconfortable ne veut pas dire dangereux, puis la côte ne sera jamais très loin si les conditions se détériorent trop. Cap sur Governor’s Harbour, au milieu d’Eleuthera. J’aimerais bien voir la plus belle plage du monde avant de quitter cette ile.

Governor’s Harbor

La plus belle plage du monde. J’ai lu quelque part que la plage sur la côte est d’Eleuthera est la plus belle plage du monde, nous avions raté cela lors de notre premier passage sur cette grande ile. Je me demande combien il y a de « 10 plus belles plages du monde » dans le monde. J’ai certainement vu cette mention pour plus de 10 plages aux Bahamas... Mais sur quels critères se base-t-on pour classer les plages? Petit sondage entre-nous sur le chemin : « Quel est ton critère pour que ce soit une belle plage? » 4 personnes, 4 réponses différentes. Cela dit, cette plage est vraiment belle. Une des plus belles que nous ayons vues, même si elle n’est pas aussi rose que ce à quoi je m’attendais. Il fait dire que nous sommes tard dans l’après-midi et que la couche de nuage est épaisse, il fait déjà un peu sombre. La plage est belle est les vagues sont parfaites : puissantes, mais pas dangereuses. Elles se cassent loin du bord, ce qui nous permet de sauter dedans, ou dessous si elles nous paraissent trop grosses, sans se faire garrocher sur la plage. L’eau est bonne. Le jour décline, il faut déjà rentrer. Quel plaisir de se défouler ainsi après une journée de traversée assez chaotique! Sur le chemin du retour, à la brunante, une nuée de moustiques se rue sur nous.

Little San Salvador, Bahamas

20 novembre

Les conditions de vent sont favorables, mais elles ne vont pas le rester. Nous décidons donc de contourner le sud d’Eleuthera jusqu’à Little San Salvador, une petite ile sur le chemin de Cat Island. Le vent est parfait, la houle agréable. Il fait beau, chaud juste comme il faut. C’est une superbe traversée. Comme le catamaran est très vaste, Sylvain et Gaétan se sont fabriqué un téléphone, comme dans notre enfance.

Half Moon Bay porte bien son nom, c’est paradisiaque. L’eau transparente et le fond de sable clair donnent l’impression de nager dans une piscine géante (à bien y réfléchir, ce sont plutôt les piscines et leur peinture bleu turquoise qui tentent d’imiter cette mer...). La plage en demi-lune est aménagée pour recevoir les milliers de touristes qui débarquent des mégapaquebots de croisières le temps d’une journée. Nous avons de la chance, il n’y a aucun bateau; la plage est à nous. L’ile n’est pas privée, mais les marins de notre espèce ne sont pas invités à se mélanger avec les vrais touristes, ceux qui dépensent dans les bars et les boutiques de souvenirs. Les choses ont été bien faites : des chevaux pour la promenade, des cabanes pour ceux qui veulent plus de confort (avec la climatisation et un ventilateur de plafond alors qu’elles ne sont pas fermées côté mer), des toboggans d’eau (qui n’ont pas été mis en fonction pour nous), des hamacs. Le tout est de bon goût, sauf peut-être l’énorme bateau, un peu trop voyant du large. Tout est ouvert, il n’y a personne. Nous entrons dans le bateau qui est en fait un bar. La décoration est bien faite, les lieux sont agréables, les détails sont soignés jusqu’au mât qui git en arrière de la goélette. Il est bien mieux réussi de près que de loin.

21 novembre

Il est 6 heures, le ciel commence à s’éclaircir. Un paquebot de croisière est en vue, il vient vers nous. Nous avons vraiment eu de la chance la veille, tant pour le beau temps que pour la tranquillité des lieux. 7 heures, le premier bateau vient chercher ses premiers passagers. Pendant ce temps, une navette emmène les employés du jour et probablement du ravitaillement. Les touristes s’éparpillent sur la plage, les chevaux défilent à la queue leu leu avec leur cavalier sur le dos. Il est temps pour nous de partir.

Cat Island, Bahamas

22 novembre, Orange Creek

Il pleut. Entre deux averses plus abondantes, des gouttes tombent d’un ciel gris. Il me semble que c’est la première fois que nous avons une pluie continue pour plus d’une demi-journée. Nous profitons de ce samedi matin pluvieux pour terminer la semaine d’école. Encore un samedi de rattrapage... Il faut dire que nous avons parcouru de nombreux milles cette semaine, et pas toujours par une mer facile. Bon, nous n’allons pas nous plaindre d’une journée de pluie alors qu’il y a de la neige à Montréal, nous allons plutôt en profiter pour nous reposer. Pendant ce temps, les réservoirs d’eau douce se remplissent, ils en avaient bien besoin. Nous en profitons aussi pour laver le matelas de la cabine invitée, avant que nos premiers invités n’arrivent dans moins d’un mois (nos grands enfants). Il est gogé d’eau salée depuis que Gaétan avait ouvert le hublot sans que nous nous en apercevions et que des paquets d’eau de mer s’étaient engouffrés dans cette cabine. Nous essorons régulièrement le matelas, posé sur le trampoline à l’avant du catamaran, en le piétinant. Nous entendons l’eau s’écouler à travers les mailles du filet. Ainsi, il se gonflera à nouveau d’eau douce lors de la prochaine grosse averse. Bien sûr, il faudra plusieurs jours de soleil pour le sécher...

Le vent monte, la houle se forme, le mouillage devient inconfortable. Normalement, les vagues se forment perpendiculairement au vent. À l’ancre, le bateau se met normalement face au vent (sauf s’il y a du courant), les vagues viennent alors de l’avant du bateau, ce qui le fait tanguer, mais qui est assez supportable tant que le catamaran ne tape pas (ce qui ne nous est encore jamais arrivé au mouillage). Cat Island s’étire du nord au sud et devrait nous offrir une bonne barrière contre le vent d’est, puisque nous sommes sur la côte ouest. Ben non! Les vagues remontent vers le nord et arrivent donc perpendiculaires au Chantemer. Elles soulèvent une coque puis l’autre, faisant rouler le catamaran.

23 novembre

Orange Creek

J’ai passé la moitié de la nuit à me lever pour ramasser tout ce que les vagues ont jeté par terre. Vite, quittons ce mouillage devenu franchement inconfortable (il faut se tenir à chaque instant). Sitôt le déjeuner avalé, nous levons l’ancre sans mettre pied à terre. Tant pis pour la laverie, le linge sale attendra.

Benett’s Harbour

Que c’est beau! Cela fait plus de quatre mois que nous sommes dans les Bahamas et nous nous extasions toujours devant les belles plages. C’est comme un beau coucher de soleil, on n’est jamais blasé. En plus, nous sommes à peu près à l’abri de la houle. Avant de visiter le village, nous voulons faire un tour dans la mangrove de Pigeon Point, qui s’étend sur plusieurs kilomètres. C’est beau, vraiment beau, vraiment calme. La couleur de l’eau est fabuleuse. Nous arrivons à un autre point de sortie, le courant de marée est fort et la houle ne nous permet pas de franchir la passe. Nous faisons donc demi-tour. Hum... le moteur de l’annexe à des ratées... Nous sommes à plusieurs kilomètres du catamaran. Nous pouvons sortir les rames, ou pousser le zodiac puisque nous avons pied sur une bonne partie du trajet, mais il faut remonter le courant sur la moitié du chemin. Le moteur refuse d’accélérer, mais il fonctionne à basse vitesse, ce qui est suffisant pour nous faire avancer. Oh oh! La marée a trop baissé, le moteur touche lors des passages les moins profonds. Ouf! Le courant de marée est maintenant dans le bon sens, le chenal est suffisamment profond, nous sommes bientôt arrivés au quai. Nous aurons eu ni besoin de ramer ni de pousser, mais il faudra néanmoins faire réparer le moteur hors-bord. Nous nous promenons dans le village constitué de quelques maisons éparpillées avant de nous retrouver sur la plage. Elle est encore plus belle que vue du bateau. L’eau est un peu fraiche, mais pas trop.

24 novembre

Bluff

Cela fait deux samedi en ligne que nous passons à récupérer les retards de la semaine d'école. Ça va faire! Départ sur les chapeaux de roues. Nous démarrons l'école si tôt la table débarrassée, avant d'amorcer un saut de puce plus au sud. Pendant ce temps, Jacques refait tous les joints du hublot de toit de Sylvain, de l'eau en a coulé lors de la dernière averse. C'est l'heure de lever l'ancre. Nous faisons une petite pause d'école, le temps que Sylvain nous aide à lever la grand-voile. Il est le préposé à la commande du winch électrique couplé au guindeau, au pied du mât, tandis que Jacques embraque énergiquement la drisse et que je maintiens le cap face au vent. Il est 10 h 30, l'école est finie! Gaétan a une petite pensée pour ses amis de Marguerite Bourgeoys, qui sont encore loin de la fin de leur journée.

Nous affalons les voiles à quelques milles de la côte, le vent de face nous obligerait à louvoyer, ce qui triplerait la distance. C'est joli par ici, il y a des falaises trouées de grottes. Mais il faut se rendre à l'évidence, l'ancrage que nous visions est bien trop exposée à la houle. De toutes façons, il y a trop de vagues pour accoster sur la plage avec l'annexe ou pour visiter les grottes. La promedade prévue est donc annulée, c'est la mer et le vent qui décident. Je commence à comprendre pourquoi Cat Island n'est pas une destination prisée par les navigateurs : aucun ancrage qui protège du vent d'ouest (pas fréquent, mais qui amène le mauvais temps), peu d'ancrages protégés de la houle. Le seul ancrage qui semble protégé est nettement plus au sud. Nous avons largement le temps de nous y rendre avant la nuit. Le vent de face nous obligent à prendre des bords, c'est à dire à faire des ziquezagues à 60 degré. Il fait beau, il y a de la houle mais c'est très supportable. En s'éloignant de la côte, la houle est de plus en plus marquée, presque face à nous, avec un hauteur de vague très irrégulière. Le catamaran frappe régulièrement sur les vagues, C'est assez impressionant, on a l'impression que les coques vont finir par exploser. Soudain, le Chantemer cogne vraiment plus fort que ce que nous avions vécu jusque-là. Jacques est assi sur le banc du capitaine, à côté de moi, les enfants sont debout dans le cockpit. Premier regard : tout le monde est là et tous vont bien. Deuxième regard : y a-t-il quelque chose qui a brisé? Soudain, je vois avec horreur une rivière qui se déverse sur le lit de Sylvain par l'écoutille de toit. Le temps de la fermée, son matelas, ses toutous, son oreiller, ses draps... tout est gaugé d'eau de mer. Lorsque nous naviguons, nous fermons toujours les cabines avant qui sont plus exposées. Avec une mer comme aujourd'hui, les écoutilles des cabines arrières auraient aussi dû être fermées, mais comme le joint n'était pas encore sec...

Fernandez Bay

Il y a peu de plages sur Cat Island, mais qu’elles sont belles! La houle n’entre pas trop dans cette petite baie entourée de villas de location. Jacques et moi marchons sur la plage tandis que les garçons jouent sur le sable. Oups! Deux chiens... La peur étant contagieuse, c’est Jacques qui propose de faire demi-tour. Dommage, j’aurais aimé monter sur le petit monticule au bout de la baie, d’où la vue promet d’être belle. Alors que nous revenons sur nos pas, je me retourne. Heu... les chiens sont à 2 mètres derrière nous, nous ferions mieux de leur faire face et d’observer leur attitude. Le chien beige accourt vers moi en remuant la queue. Je lui fais sentir mon poing, comme notre voisin Andy me l’a appris, et le chien commence à me lécher. Il m’a tout de suite adoptée, nous reprenons le chemin du monticule.


25 novembre, Fernandez Bay


Le silence... En fait, ce n’est pas du tout silencieux, mais ce sont tous des bruits reposants : le sifflement du vent dans les oreilles, le caquètement des palmiers, le flip flop des rames suivi du plic plic des gouttes d’eau qui s’en égouttent. Pas de vrombissement de moteur, pas de flacotement du drapeau, pas de sifflement de l’éolienne, pas de disputes d’enfants... Que ça fait du bien d’être seule! À peine de retour au Chantemer, j’entends la bouilloire qui siffle. Jacques a lancé le café dès qu’il m’a vu revenir, une attention que j’apprécie. Sylvain a terminé l’école, Gaétan s’y est remis. J’ai les épaules en compote, mais je me sens bien, légère, heureuse.

Grande première : les garçons vont à la plage seuls avec l’annexe, Jacques les y rejoindra un peu plus tard à la nage. Ils prennent leurs responsabilités très au sérieux et se partagent les rôles : Gaétan est au moteur, Sylvain devra sauter dans l’eau pour tirer la chaloupe sur la plage. Je suis drôlement fière d’eux et pas du tout inquiète : les conditions sont idéales, ils connaissent bien les manœuvres à faire et ils ont la VHF portative en cas de problèmes.

26 novembre, New Bight

D’après notre guide, il y a plein de services pour les plaisanciers à New Bight. Première mauvaise surprise : le soi-disant « confortable » quai à annexe est en béton avec une avancée en bois dont la solidité est très douteuse. Ce n’est pas grave, il y a une plage juste à côté, le quai y réduit considérablement la houle. Deuxième mauvaise surprise : la boutique d’artisanat est fermée. Troisième mauvaise surprise : la station-service ne fournit pas de propane en ce moment. Quatrième mauvaise surprise : l’épicerie est minuscule, le congélateur des viandes est éteint, les patates sont pourries et il n’y a pas d’autres légumes. Moi qui rêvais de mettre un morceau de viande sur le barbecue... les poissons se font rares en ce moment. Nous trouvons bien quelques petits restaurants mignons, dont un seul est ouvert, mais ce n’est pas ce que nous cherchions. Il faut croire que novembre fait encore partie de la saison morte ici, et que, comme la marée, plus on va dans le sud, plus la saison touristique est retardée. Ce n’est pas grave. Le Chantemer regorge encore de provisions et nous venons seulement d’entamer la deuxième bouteille de propane (nous en avons quatre).

Une vraie randonnée, avec un objectif, un point d’arrivée précis! J’en avais envie depuis longtemps. Nous allons visiter l’ermitage tout là haut, sur le plus haut sommet des Bahamas. Seulement 207 pieds (je vous laisse faire le calcul en mètre), d’accord, mais nous partons du niveau de la mer! Et en plus, c’est marée basse. Nous sortons les espadrilles, une bouteille d’eau pour chacun et deux barres de céréales par personne. Finalement, la montée n’est pas aussi longue qu’on l’aurait cru. Mais, c’est tout petit! Il faut se baisser pour passer sous les portes, chaque bâtiment ne comporte qu’une minuscule pièce. « Maman, on dirait une maison pour enfant. » L’ensemble est si bien conçu que nous avons été bluffés par ses dimensions jusqu’à ce que nous arrivions à son niveau. Frère Jérôme, c’était son ermitage, était avant tout un architecte. Il avait du talent. Nous sommes stupéfaits devant le nombre de visiteurs qui ont écrit dans le livre d’or. Une vingtaine par jour. Mais où sont ces touristes? Pas sur des bateaux en tout cas, nous sommes toujours les seuls au mouillage.

 

Long Island, Bahamas

27 novembre, vers Long Island

Ça y est, nous quittons Cat Island. Une ile de moins nous séparera des Turks ans Caicos, notre descente vers le sud se poursuit. Déjà, il fait nettement plus chaud (mais pas trop) que dans les Abacos et le soleil se lève plus tôt. La mer est calme avec une grosse houle qui nous berce pendant l’école. Ils avaient annoncé du vent modéré, il est tellement faible que nous devons avancer au moteur. Nous nous consolons en nous disant que les batteries ont bien besoin d’être rechargées. En navigation, le pilote automatique et les autres instruments consomment bien plus d’électricité que les panneaux solaires peuvent fournir. Il y a de petits groupes de dauphins partout, mais ils restent loin de nous.

28 novembre, Stella Maris Marina

Enfin une laverie! Nous pouvons laver tout ce qui a pris l’eau de mer dans la cabine de Sylvain. Il ne restera plus que le matelas à sortir un jour de grande pluie. En attendant, le vent et le soleil ont fini de le sécher. Nous occupons les quatre laveuses disponibles. Il est midi et nous avons faim. Le propriétaire des lieux nous indique un endroit où nous pourrons trouver des sandwiches, un peu plus loin. Nous sommes assez loin de la ville de Stella Maris et il n’y a pas grand-chose d’accessible à pied. Nous hésitons à passer la porte, ça ressemble à tout sauf à un restaurant ou à une boutique. Nous entrons dans une vaste pièce aménagée en salle d’attente avec de vieux fauteuils recouverts de couvertures et un réfrigérateur rempli de soda. Une porte mène à une vaste cuisine où une vaillante cuisinière est en train de remplir une quantité assez impressionnante de plats individuels en polystyrène. Le plat du jour c’est du poulet au curry avec du riz. Nous n’avons pas commandé, mais il y en a assez. Nous ne demandons même pas ce qu’elle pourrait nous offrir d’autre, c’est un service de traiteur pour les travailleurs et des habitants du coin. Nous débarquons à l’heure critique et nous ne voulons pas tout chambouler. De la bouffe pour les locaux, cela nous va très bien tant que ce n’est pas trop épicé. Les portions sont généreuses, pas chères et assez bonnes. Nous sommes chanceux d’avoir pu bénéficier de ce petit plat maison.

29 novembre

Entre Stella Maris et Salt Pond

Des dauphins! Ils nous font le cadeau de venir jouer dans nos étraves, pas longtemps, mais suffisamment pour nous en mettre plein les yeux. Leur synchronisation est parfaite, leur moyen de communication doit être vraiment complexe et dépasser les sons émis. La couleur de l’eau est aussi magique et nous attrapons coup sur coup deux maquereaux. Que demander de plus?

Salt Pond

Nous voici à Salt Pond pour récupérer une nouvelle hélice pour l’annexe. Ben oui! Ça s’use une hélice!!! Autour de l’axe, il y a un caoutchouc qui permet à l’hélice de s’arrêter de tourner si quelque chose la bloque. Avec le temps, ce caoutchouc s’use et se détériore, et l’hélice arrête de tourner dès qu’elle force trop, y compris lorsque nous ne faisons qu’accélérer. Ma logique d’ingénieure fait un bon : il faut changer toute l’hélice pour une pièce d’usure qui est logée en son centre??? La panne trouvée, il reste à trouver l’hélice qui correspond à notre moteur (évidemment, ce n’est pas standard...). Malheureusement, celle en stock n’est pas de la bonne taille. Le meilleur délai pour en recevoir une nouvelle est mercredi soir et nous sommes samedi matin. D’un seul coup, les presque trois semaines pour rejoindre les Turks ans Caicos semblent bien courtes, d’autant plus que la marche arrière du moteur tribord a rendu l’âme lorsque nous avons jeté l’ancre ce matin, nous n’avons pas encore investigué pour en découvrir l’origine.

30 novembre, Salt Pond

Des vagues. Pleins de vagues. De grosses vagues... Nous ne sommes pas sur la mer, mais dans la mer avec les pieds sur terre, ou plutôt dans le sable. Les vagues sont alors un terrain de jeux formidable. La plage est magnifique, sauvage, déserte. Le sable est saupoudré de rose, débris de coquillages. Une chance que nous ayons cette plage-là à moins de deux kilomètres, car nous sommes coincés ici pour quelques jours à quelques semaines, le temps de réparer le moteur.