Escale avitaillement en Floride et retour dans les Bahamas

Carnet de bord de Raphaëlle

Octobre 2014

Contrairement au carnet principal, les archives se lisent de haut en bas...

Fort-Lauderdale, Floride (USA)

3 octobre, vers Fort Lauderdale

Le réveil sonne, il est 4 heures. La traversée du Golf Stream a très mauvaise réputation, du moins parmi les marins québécois. Nous avons plusieurs fois entendu dire qu’il ne faut absolument pas le traverser lorsque le vent vient du nord, c’est à dire opposé au courant. Comme la météo n’annonce aucune journée avec du vent favorable, nous décidons de partir quand il n’est prévu qu’une faible brise, même si elle vient du nord. Dans ces conditions, la traversée devrait prendre une dizaine d’heures au moteur. Comme les douanes ne sont ouvertes que du lundi au vendredi, du 8 h à 16 h 30, nous devons arriver suffisamment tôt pour passer les douanes puis l’immigration. Imaginez-vous que chaque fois que vous passez une frontière, vous devez faire les formalités aux douanes puis à l’immigration, dans un autre bâtiment. Imaginez aussi que seul le conducteur du véhicule se présente, alors que tous les passeports sont étampés sans même voir la binette des passagers. Aberrent? C’est pourtant ce qui se passe dans presque tous les pays lorsque vous arrivez par bateau. Nous avons passé la frontière états-unienne de nombreuses fois avec notre autocaravane, situation très similaire à celle du Chantemer du point de vue des douanes et de l’immigration. À chaque fois, ils scrutaient bien les enfants et ne s’inquiétaient que des denrées que nous amenions et de la durée du séjour.

Il est 4 heures, le temps est calme, les étoiles brillent. Le temps d’émerger et de monter l’ancre, nous nous élançons à 4 h 20. Nous passons la première heure à tirer le génois, puis le rentrer, car le vent est finalement assez fort pour sortir la grand-voile. Sauf que nous n’arrivons pas à hisser la grand-voile, mal réveillés que nous sommes et dans le noir. Après que Jacques se soit rappelé que nous avions une lampe au mat exprès pour les manœuvres de nuit, nous réussissons finalement à naviguer avec nos deux voiles, sans le moteur. Les gars sont réveillés, nous nous serrons tous les quatre sur la banquette du capitaine. Il fait un peu frais. Je retourne me coucher une petite heure. À mon réveil, les premières couleurs de l’aube apparaissent dans un horizon pour une fois exempt de nuage. C’est superbe.

4 octobre

Les premières lueurs de l’aube me réveillent. Il y a quelque chose d’anormal, une sensation d’irréel. Au loin, j’entends les bruits de la ville qui s’éveille. Que se passe-t-il? D’où me vient ce sentiment de ne plus être sur le bateau? J’y suis! Le Chantemer est absolument immobile, ce qui ne nous était jamais arrivé, même en marina. Nous sommes amarrés à une bouée sur la rivière qui traverse Fort Lauderdale, dans un renfoncement à l’abri du courant. Il n’y a pas de vent et aucun bateau ne fait de vagues. L’habituel bercement me manque.

5 octobre

J’ai froid. Dehors, il fait encore nuit noire... Je me colle contre Jacques, mais cela ne suffit pas à me réchauffer. Ce n’est qu’au petit matin que j’aurais la présence d’esprit de fermer le hublot... Ce qui me manque le plus avec la chaleur tropicale que nous avons connue jusqu’ici, c’est se coller les uns contre les autres. Nous sommes de la famille « colantosaures », nous nous mettions à 4 ou 5 dans un sofa deux places pour regarder la télé...

6 octobre

Parmi les corvées, c’est la cuisine que je préfère. Quel plaisir d’avoir des légumes tout frais! Provision de pots masons : ratatouille, avec deux pots de carottes pour compléter l’autoclave, sauce au bœuf haché et couscous... Les conserves industrielles métalliques de légumes sont vraiment immangeables. Gaétan nous prépare une tarte au sucre. Les gars sont de plus en plus indépendants pour cuisiner. Comme je n’ai pas beaucoup de temps pour faire des desserts et qu’ils sont gourmands, ils se mettent à la pâtisserie et se débrouillent vraiment bien.

7 octobre

Ces journées de courses sont vraiment épuisantes. Lors des arrêts plus techniques, pour discuter l’état de nos batteries ou de la grosseur de cordage nous devons acheter, Sylvain et Gaétan restent dans la voiture à jouer sur les tablettes. Lorsque nous sommes dans des magasins avec des rayons, ils se défoulent... un peu trop. Avec l’argent qu’ils ont reçu pour leur anniversaire et de nos voisins Andy et Pat (cadeau de départ), ils se sont acheté un fusil à eau. Il faut les voir courir sur le pont du catamaran, se poster de part et d’autre de la nacelle pour se tirer dessus par dessus le toit. Pour une fois, leur jeu ne finit pas dans les larmes : ni règlement de compte ni accident plus ou moins douloureux.

C’est le soir. Nous allons tous à la marina pour prendre une longue douche chaude... Lors de notre précédent séjour en marina, près de George Town dans les Exumas, je préférais le côté pratique d’une douche rapide dans notre bateau plutôt que le confort d’une grande douche avec eau chaude à profusion. Mais c’est l’automne et il fait nettement moins chaud depuis que le vent du nord souffle (ce qui ne nous empêche pas de transpirer abondamment dans la journée). Une douche froide est nettement moins tentante quand on ne ressent pas le besoin de se rafraîchir. Vive le luxe de l’eau courante.

8 octobre

Je dois y retourner. Là-haut, tout en haut du mât. La drisse a vraiment besoin d’être changée et elle est nouée juste en dessous de la pomme de mât. Le problème est qu’il est cordage qui me permet de monter. L’autre drisse, celle qui me sert de sécurité, sort un peu plus bas du mât. Il faut donc que je m’accroche avec une sangle en haut du mât pendant que je tire sur le cordage temporairement raccordé au nouveau. Cette fois-ci, je suis bien installée : les pieds calés sur les protections des accroches des haubans, le mât entre les jambes, je ne me balance pas plus que le haut du mât. Mon poids est bien réparti sur mes fesses et sur mes jambes, la circulation sanguine n’est pas coupée. Le vent est un peu monté, mais rien d’alarmant. Quitte à être tout là-haut, j’en profite pour changer le feu de mouillage pour une ampoule D.E.L. que nous venons de recevoir. Flûte, aucune des deux nouvelles ampoules ne fonctionne, je suis donc obligée de remettre l’ancienne. Vais-je devoir remonter, encore une fois???

9 octobre

Sylvain et Gaétan redécouvrent la télévision. Peu importe que les émissions soient en anglais! Du moins de leur point de vue, car pour ma part j’en suis ravie. Après notre retour, se souviendront-ils qu’il est possible de vivre sans la télé? Sylvain vient à son tour de finir de lire la série des Harry Potter. Il y a trois mois, il se sentait incapable de lire un tel roman. Je suis vraiment fière de lui. Je recommande à tous les parents dont les enfants ne lisent pas assez de partir plusieurs mois en bateau.

10 octobre

Il faut cultiver son jardin. Le mien est tout petit! Mais bien apprécié dans les salades. Les coquillages, c’est pour limiter l’évaporation et protéger des éclaboussements de terre lors des pluies tropicales. J’ai ajouté de la menthe pour le taboulé. Malheureusement, le couscous est complètement inconnu en Floride, nous n’en avons trouvé nulle part.

11 octobre

Il y a de l’orage dans l’air. Pas du point de vue de la météo, mais dans l’atmosphère familiale. Les travaux n’avancent jamais comme il faudrait : il manque toujours la bonne vis, l’écrou à desserrer est toujours bloqué, l’accès est toujours inaccessible, les outils ne sont jamais là où l’on pensait, etc., etc., etc. Bricoler dans un bateau est encore pire que bricoler dans une maison, parce qu’avant de prendre la voiture pour acheter ce qu’il manque, il faut prendre l’annexe (et ça, c’est quand on a une voiture...) En plus, les outils tombent à l’eau. Les garçons passent trop de temps devant les écrans ou à lire, ils ne se défoulent pas assez (nous ne sommes allés que deux fois à la plage depuis notre arrivée). Nous n’avons même pas le temps de ranger proprement les affaires que nous achetons. Une épicerie de 600 $, ça prend de la place et c’est long à placer. Il faut d’abord déplacer la personne ou les affaires qui sont sur le coffre. Affaires ou personne qui atterrissent sur le deuxième coffre auquel nous devons accéder juste après... Il y a de tout partout, donc tout est sale, il n’y a même pas la place pour passer le balai.

Il est vraiment temps de partir. Heureusement, le départ est prévu pour dans moins de deux jours.

12 octobre

Hé bien non, nous ne partirons pas cette nuit. Finalement, le vent sera trop dans le nez, il vaut mieux attendre mardi. De plus, une soudaine tempête tropicale a fait son apparition au large des Antilles (Gonzalo), mieux vaut attendre la certitude qu’elle passera bien au large des Bahamas. Et Jacques et moi avons de la difficulté à accepter que nos plans soient contrecarrés, nous devons apprendre à être dépendants d’une météo peu fiable à plus de 48 heures.

Pauvre Gaétan. Je suis dans la salle commune de la marina pour faire un dernier lavage et profiter de l’accès internet pour configurer le nouvel ordinateur. Flûte! J’ai oublié le câble pour le brancher... La télécommande de la télévision ne fonctionne plus, elle est bloquée sur une chaine d’information qui n’offre aucun intérêt pour les enfants. Heureusement, nous avons les tablettes. Atchoum, atchoum, atchoum... Mon Gaétan n’arrête pas d’éternuer. Il a eu un rhume bizarre en début de semaine. J’avais mis ça sur le compte de la climatisation, bien trop froide, et il était passé (trop) rapidement. Là, il n’y a aucun doute. Gaétan est allergique, probablement aux acariens (il y a de la moquette dans la pièce). Il n’arrête plus d’éternuer et de tousser, ses yeux gonflent. Aucun des deux antihistaminiques de notre pharmacie ne sera efficace. Heureusement, tout va bien à bord, mais son système met du temps à se calmer.


13 octobre

Jacques veut profiter de cette journée supplémentaire à Fort Lauderdale pour acheter la pièce qui manque pour réparer le dessalinisateur, mais il doit d’abord reprendre une voiture de location puisque nous avons rendu la nôtre la veille. Il revient au Chantemer une heure plus tard, sous une pluie battante. Il n’a pas réussi à se connecter à internet avec la tablette. Il n’a pas non plus réussi à trouver une seule voiture de location disponible! Enfin si. Une agence en avait une de disponible à l’autre bout de la ville, mais ils ne pouvaient pas venir le chercher, il aurait dû y aller en taxi... Il est trempé et furieux. Moi, je profite d’avoir de l’eau sans restriction (nous referons le plein avant de partir) pour faire un grand coup de ménage à l’intérieur.

Nous partons en début d’après-midi pour Lake Sylvia, un petit lac où l’on peut s’ancrer gratuitement pour 24 h maximum. Nous préparons le catamaran pour la traversée du lendemain : tout ranger (dont les 4 chariots d’épicerie pour les mois à venir), remonter le moteur de l’annexe, etc. C’est le soir. Nous sommes fatigués, mais le bateau est vraiment bien rangé et tout propre en dedans. C’est réconfortant après le chantier de la semaine écoulée.

14 octobre

Il est 4 heures du matin. Nous levons l’ancre afin d’arriver au pont pour l’ouverture de 4 h 30. Une courte averse nous trempe, mais il ne fait pas trop froid. Le vent est fort. La sortie de l’intracoastal n’est pas évidente dans cette nuit noire et, malgré l’heure matinale, il y a quand même du trafic. Les gars dorment toujours.

En pleine mer, la houle est forte. Il ne pleut plus, mais le pont est mouillé et glissant. Pour la première fois, Jacques et moi mettons nos gilets de sauvetage y compris lorsque nous sommes dans le cockpit ou sur le siège du capitaine. Pour faire pipi par-dessus bord, j’enfile le harnais de sécurité et je m’attache. Avec la lumière du jour, le stress baisse d’un cran, mais la navigation reste inconfortable. Péniblement, nous avançons vers notre destination. Enfin, la ligne des trois miles est dépassée, nous pouvons ouvrir les vannes et vider les cuves noires. Avec les mouvements du bateau, l’odeur est devenue plus que désagréable. Je descends donc dans les cabines. Mais d’où vient toute cette eau dans la cabine d’invités??? Horreur, le hublot est grand ouvert; les vagues s’engouffrent par paquets, rebondissent sur le plafond pour s’affaler sur le matelas. Je n’ai pas le courage de regarder si l’eau a coulé dans les coffres. Il y a toute la pharmacie, mais dans la plupart des cas les médicaments sont suremballés. Nous n’ouvrons jamais ce hublot. Nous aérons régulièrement cette cabine non habitée, mais uniquement avec l’écoutille du plafond. Gaétan était venu lire ici la veille, c’est probablement lui qui l’a ouvert.

Nous savions que la direction du vent serait limite, mais nous avions compté sans le courant du Golf Stream. Notre angle de déviation est de 60°, nous avançons en crabe. Du coup, le vent est en pleine face, rendant impossible la navigation à la voile. Surtout, avec un vent de 15 nœuds, la houle est très forte et vient elle aussi de face. Les vagues cognent sous le Chantemer. Ça brasse en titi. Heureusement, tout est bien rangé. Avec notre allure de crabe, la vitesse est faible. Pourquoi subir une longue journée de navigation inconfortable au moteur alors que rien ni personne ne nous attend à l’arrivée? Il est 8 h 30, nous décidons de faire demi-tour. Retour à la case départ... à 13 h.

Le soleil brille, le repas fut bon et la sieste réparatrice. Nous décidons d’aller à pied chercher la pièce que Jacques n’avait pas réussi à chercher la veille. Le Lake Sylvia est plus proche du magasin que la bouée où nous étions. Notre destination est à quatre kilomètres, le quai à annexe est à moitié du chemin. Nous partons tous les quatre, sacs sur le dos, casquette sur la tête, pour cette randonnée citadine. Il fait chaud, mais le quai à annexe appartient à un bar et nous nous sommes promis un arrêt au retour. Nous en profitons pour faire quelques courses (poulet rôti et baguette pour le souper : un vrai luxe!). La bière est fraiche, bonne et abondante (un pichet pour deux, il faut bien se consoler...). Cette sortie transforme cette journée qui était si mal partie.

 

Grand Bahama, Bahamas

15 octobre

Vers Grand Bahama

Voici ce que Francis, l’oncle de Jacques, nous a écrit il y a peu :
« Le bateau reste le moyen le plus cher, le plus inconfortable pour aller d’un point où l’on voudrait aller, à un point où l’on ne veut pas aller. Mais quel bonheur! »

Aujourd’hui en est un excellent exemple. Départ à 6 h, arrivée à 19 h, pour une distance de 60 miles. Cela fait une moyenne de 8,5 km/h. C’est une heure d’autoroute (sans bouchon et sans tempête de neige). Le vent est extrêmement variable. Nous avançons tantôt au moteur, tantôt à la voile et parfois aux deux. Cela dit, c’est une belle traversée avec quelques ondées, un peu de houle de travers et même un maquereau!

West-End, Grand Bahama

Les Bahamas nous accueillent avec un coucher de soleil magnifique. Nous arrivons à l’heure prévue, soit 19 heures, mais nous sommes surpris par l’heure précoce du coucher du soleil. Les journées raccourcissent vite, nous sommes au point le plus au nord depuis notre départ. Nous échouons lors des trois premières tentatives d’ancrage, le fond est de la roche dure. Il fait maintenant trop noir pour repérer les plaques de sable ou d’herbe qui nous permettrait de crocher l’ancre. Nous essayons encore à quelques reprises, à divers endroits, sans succès. Il n’y a pas d’autres zones de mouillage à proximité. Nous décidons donc de poser l’ancre sur le fond avec beaucoup de chaines, de mettre deux alarmes d’ancrage, tout en espérant que les orages passeront au loin. L’ancre et la chaine devraient freiner la dérive et nous sommes suffisamment éloignés des obstacles pour avoir le temps de démarrer les moteurs en cas de dérapage excessif. Du coup, nous sommes exposés à la forte houle. La nuit va être longue...

16 octobre, West-End

Le jour se lève enfin. Je n’ai pas beaucoup dormi. Le Chantemer a un peu dérivé sous l’effet du vent et du courant de marée. Deux grains qui sont passés à proximité ont accentué la dérive, mais sans excès. Nous avions fait le bon choix. Le vent est fort, 15 nœuds, et a viré au nord-ouest. La houle est importante, le mouillage vraiment inconfortable. Nous levons l’ancre pour entrer dans la marina afin de passer la douane et l’immigration. L’entrée de cette marina est exactement dans l’axe de la houle, qui a pris de l’ampleur durant la nuit, le vent ne rencontrant aucun obstacle depuis la côte est des États-Unis. Le courant de marée est lui aussi dans le sens des vagues qui sont énormes. Peu après l’entrée dans la marina, il y a un virage. Le catamaran sera-t-il navigable dans de telles conditions? Nous ne courrons pas de risque. Cap vers les Abacos, à deux ou trois jours de navigation, les formalités d’entrée attendront. Nous avons un « Cuising Permit » encore valable pour le Chantemer. Nous ne sommes pas censés aller à terre tant que nous n’avons pas passé l’immigration, il n’y a pas grand-chose à visiter de toute façon.

Abacos, Bahamas


17 octobre, Fox Town, Little Abaco

Nous avons pris du retard pour l’école. Surtout Gaétan, qui avait refusé de travailler la dernière fois, je n’avais pas alors trouvé les arguments pour le convaincre de reprendre. Durant les trois heures (plus ou moins) que dure l’école, je n’ai pas besoin d’être avec eux tout le temps, ils sont relativement autonomes. Par contre, je dois être immédiatement disponible en cas de besoin sous peine de dérapage divers : excitation, disputes, bagarres, abandon... Je peux donc faire des tâches manuelles telles que la cuisine ou le ménage, mais je ne peux ni lire, ni prendre mes courriels, ni même bricoler avec Jacques, car cela requiert une certaine attention. C’est un peu comme les enfants (de bébé à l’adolescence) qui sentent que l’attention de leurs parents n’est plus sur eux dès qu’ils sont au téléphone. Ils se mettent alors à parler ou à se disputer devant eux, selon leur âge. L’école est donc le moment où Sylvain et Gaétan exigent toute mon attention. Comme toujours, c’est avec Gaétan que je dépense le plus d’énergie pour gérer la situation. Ce qui est un peu décourageant, c’est que même s’il ne faisait rien durant cette année, il suivrait sans aucune difficulté en 5e année l’an prochain. Il n’y a pratiquement pas de nouvelles notions entre la 4e et la 5e année. C’est le contraire avec Sylvain et je ne peux pas abandonner l’école avec l’un et pas l’autre. Il y a des jours comme ça où j’ai l’impression qu’élever un enfant unique est bien plus facile. Mais je ne sais pas de quoi je parle, puisque mes deux premiers enfants n’ont que 12 mois d’écart...

18 octobre, Fox Town, Little Abaco, Bahamas

Vivement que nous allions dans le sud. Enfin, plus au sud. Le vent du nord a faibli, mais il est toujours aussi froid. Impossible de rester nue du matin au soir. Nous avons aussi sorti les couvertures. Gaétan a choisi le vieux sac de couchage, il s’est réveillé avec les yeux gonflés et une rhinite aiguë, il est vraiment devenu allergique aux acariens. Il réagit peu aux antihistaminiques qui le font dormir. Même l’eau est froide. Jacques a sorti les combinaisons. Pour ma part, je préfère nager vigoureusement et me baigner moins longtemps. Bon, tout cela est relatif, d’accord, mais nous n’étions pas préparés à nous sentir à l’automne. Nous sommes à une latitude de 27 degrés nord. Vivement que nous allions dans le sud, entre les tropiques, dans les climats tropicaux.

19 octobre, Powell Cay

L’école et la courte traversée sont finies. Les douanes et l’immigration sont reportées à demain. Contrairement à ce qui était annoncé dans notre guide, il n’y a aucun employé en ce dimanche de saison encore morte. Nous remettons le moteur sur l’annexe. À cause des vagues, nous le mettons sur un support fixe durant les grandes traversées, pour éviter de trop forcer sur les bossoirs (supports des palans servant à hisser l’annexe hors de l’eau). La manœuvre est maintenant bien rodée et il n’y a aucune vague. Je suis au pied du mât en train de contrôler la drisse qui nous sert à remonter et à descendre le moteur jusqu’à ce que le palan du bossoir prenne le relais. Jaques m’appelle en catastrophe. La sangle par laquelle le moteur est suspendu a glissé. L’hélice est posée sur le bord du pont, le moteur est en porte à faux et Jacques le retient du bout des bras. Je descends sur la dernière marche pour essayer de le relever, mais je suis trop loin. Je tente de mettre un pied dans l’annexe pour avoir un meilleur appui, mais la barque est attachée lâche et elle a tendance à s’écarter sous mon poids. Nous arrivons à remettre la sangle en place, mais pas à soulever suffisamment le moteur pour décoincer l’hélice. Un moteur hors-bord de 15 chevaux, c’est pas mal lourd. Que faire dans cette situation précaire? « Maman, je peux monter la drisse, je sais comment faire ». Sylvain, le futur ingénieur de 10 ans, sûr de lui, prend la situation en main. Il met en place la poignée du winch et monte le moteur avec assurance, ce qui nous permet de le remettre d’aplomb. Puis, tout en douceur, il le laisse descendre tandis que Jacques et moi le retenons pour nous assurer que la sangle reste en place.

L’annexe prête, nous partons pour une belle ballade en annexe, qui nous permettra de croiser de nombreux canards, pélicans, oies, cormorans et autres volatiles. Le soleil se couche, grandiose. La plaque que Jacques a installée juste au-dessus de l’hélice rend la navigation beaucoup plus confortable et il n’y a pas de vagues. Enfin, nous avons l’impression de « faire quelque chose », après trois semaines de navigation et de courses en ville.

20 octobre, Green Turtle Cay

Une nouvelle menace ouragonesque plane sur nous. Un système est en train de se former au Mexique, se déplaçant vers l’est. Comment évoluera une telle tempête? Jusqu’à présent, les ouragans se sont formés loin à l’ouest puis ils ont tourné au nord avant le sud-est des Bahamas. Je consulte les archives des 15 dernières années. Je trouve en effet deux ou trois ouragans qui ont filé vers l’est depuis le Mexique. Ils ont pris une direction nord-est, traversant soit la Floride soit les Bahamas. Ce n’est pas du tout rassurant. Ce qui l’est plus, c’est le descriptif en anglais de la NOAA (organisme états-unien chargé de surveiller les ouragans pour l’Atlantique et le Pacifique) qui parle d’une confrontation avec un autre système. Est-ce pour cela que l’épicier dit que cette menace ne concerne pas les Bahamas? Notre carte prépayée pour l’accès internet est terminée et le seul bureau de BTC de l’ile est fermé pour quelques jours...

21 octobre, Green Turtle Cay

Ça me prend d’un seul coup. J’ai envie de me promener main dans la main avec mon amoureux, sans les enfants. C’est la première fois que j’ai une telle envie depuis notre départ. Depuis toujours, nos activités professionnelles et personnelles nous ont permis d’avoir de nombreux tête-à-tête, sans avoir besoin de créer l’occasion. Lorsque Sylvain est né, Malika et Martin étaient déjà assez grands pour le garder le temps d’une promenade en amoureux sur le bord du lac. Ici, sur le Chantemer, les enfants sont souvent occupés de leur bord nous laissant du temps pour nous deux. Aujourd’hui c’est différent. Nous sommes en congés d’école (la semaine s’est étirée à cause de traversées), et j’ai besoin de prendre un peu le large sans les entendre se disputer en bruit de fond. J’ai besoin de marcher en tenant la main de Jacques sans qu’un enfant essaye de se mettre entre nous. Nous les laissons donc à bord et nous partons marcher plus d’une heure. « Appel aux parents du Chantemer. Quand est-ce que vous revenez? Il est midi, c’est l’heure de manger ». Nous n’avons pas de téléphone cellulaire, mais une radio VHF portative pour les urgences. Les gars savent bien s’en servir. C’est déjà l’heure de rembarquer...

22 octobre, No Name Cay

Nous visitons une sorte de lac intérieur, entouré de mangrove. Il n’y a rien de vraiment intéressant à voir, mais au moins, on a vu. Au retour, nous faisons un détour pour visiter le nord de l’île. Un drôle d’écriteau attire notre attention : « Water and food, please ». Il y a quelques installations visibles depuis le bateau : une table à pique-nique toute défoncée, des bâches ça et là, de drôles de petites plates-formes en hauteur. Qui peut bien habiter là? Comme il n’y a personne, nous accostons. Des cochons accourent vers nous et quémandent leur pitance. C’est donc pour eux que de la nourriture et de l’eau sont demandées!

23 octobre, Treasure Cay

Nous sommes venus nous mettre à l’abri d’un coup de vent annoncé pour le lendemain soir. Malheusement, il y a beaucoup moins de bouées qu’annoncé dans les guides et elles sont toutes prises. Nous nous ancrons donc. À peine débarqué à la marina, il se met à pleuvoir. De l’eau, de l’eau, de l’eau... qui n’empêchera pas Sylvain et Gaétan de profiter de la piscine « Ben quoi, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas baigné dans le l’eau douce. » Après deux heures de déluge, la pluie se calme un peu. Nous en profitons pour retourner au Chantemer. Sauf que l’annexe est remplie d’eau! Nous écopons un peu, afin de naviguer en toute sécurité. Sylvain et Gaétan se battent pour s’acquitter de cette tâche. Le catamaran n’est pas loin, l’endroit est parfaitement protégé des vagues, nous pouvons donc partir même s’il reste 5 cm d’eau dans le fond. Nous viderons la barque en la remontant sur les bossoirs.

24 octobre, Treasure Cay

Il est 8 heures. Il a cessé de pleuvoir et nous prenons le déjeuner dehors. Une bouée se libère! N’attendons pas qu’un autre voilier arrive. Après plusieurs tentatives, j’arrive à attraper l’anneau de cordage sans perdre ma gaffe (ce qui m’était arrivé la dernière fois) ni sauter à l’eau pour y enfiler les amarres (ce qui m’était arrivé les deux dernières fois...). Sylvain et Gaétan ont pris leur rôle très au sérieux : ils doivent relayer les indications que je crie à Jacques, qui ne peut apercevoir la bouée dès que nous sommes trop proches.


25 octobre, Treasure Cay

Jacques fait du kite. Les garçons jouent à sauter dans le sable depuis le haut de la dune. Le soleil est bien apprécié après ces quelques jours de grisaille puis de pluie. Nous avons prolongé notre séjour dans cette marina, où le prix de la bouée inclut l’accès à toutes les installations : plage, piscine, douche, accès internet... Après 4 mois sur le bateau, je réapprécie de plus en plus les bienfaits dits de la civilisation. Je suis en train de lire, confortablement installée sur une chaise longue à l’abri d’un parasol en palme de cocotier. La plage est belle, le sable très fin. Les vagues offrent un splendide terrain de jeux qui nous a permis à tous de nous défouler.

26 octobre, Great Guana Cay

Prendre le temps. Prendre le temps de regarder ses enfants jouer. Prendre le temps de regarder le coucher du soleil, tout en sirotant un ponch. Prendre le temps d’écouter son amoureux jouer de l’harmonica. Prendre le temps de cuisiner un bon repas. Prendre le temps... Comme j’aimerais prendre encore plus le temps. Et pourtant, je le prends infiniment plus que dans notre vie d’avant, celle que nous devrons reprendre un jour. Mais je n’ai pas envie de prendre le temps de penser à ce temps-là. C’est encore trop tôt.

27 octobre, Great Guana Cay

Il y a de plus en plus de bateaux autour de nous, essentiellement des bateaux de location. La « mauvaise » saison s’achève. Nous déambulons dans les rues de ce tranquille village. Les Bahamiens sont surpris et tout sourire quand nous prenons le temps de les saluer. Je ne sais plus qui nous avait que les États-Uniens ne disent pas bonjour, ce qui heurte la politesse des locaux. Plusieurs maisons affichent un drapeau états-unien dans leur jardin, ce qui nous paraît déplacé. Donc, dire bonjour, c’est aussi s’afficher comme Canadien. Nous continuons à jouir d’une réputation d’être courtois, polis et respectueux, malgré la politique étrangère de notre actuel premier ministre fédéral...

28 octobre

Fish Cays

Raté, il n’y a pas de plage sur ces petits ilots perdus au milieu de la mer Abaco, mer plus petite qu’un lac puisque nous en voyons toutes les rives. Le fond marin n’offre pas non plus un grand intérêt. Je brave les vagues depuis l’annexe avec mon précieux appareil photo à bout de bras pour atteindre une des îles. La végétation est vraiment différente de celle que nous avons vue dans les autres archipels. Je me fais plaisir à prendre quelques belles photos des paysages et de la nature.

Man-O-War Cay

Nous déambulons dans les rues bétonnées de Man-O-War, juste assez larges pour que deux voitures de golf se croisent. Cette petite ville fondée par les loyalistes offre une multitude de jardins fleuris et biens entretenus. Je m’étais promis de ne plus faire de comparaison avec Tahiti, mais le souvenir olfactif est trop fort. Un tiaré, la fleur emblématique de la Polynésie Française qui embaume l’aéroport de Papeete par l’entremise des colliers de fleurs offerts aux arrivants. Petite fleur à l’effluve puissante utilisée pour parfumer le monoï. L’arbre est là, en bordure d’un jardin à un croisement. J’en vole une qui atterrit derrière mon oreille. La brise m’apporte son parfum entêtant par bouffées. Les souvenirs m’assaillent...

29 octobre, Man-O-War Cay

Halloween approche... Je n'ai aucune envie de souligner cette fête qui ne fait pas partie de ma culture, mais qui est ancrée dans celle de mes enfants. Ils nous bassinent avec Halloween depuis le premier du mois. Ils décomptent les jours, préparent leur costume, se demandent comment cela va se passer sur le bateau. Nous aussi d'ailleurs, nous avons acheté des bonbons, mais pour la distribution, il faudra improviser. Sylvain a pris à coeur le costume de son frère, il a déjà nettoyé une noix de coco et il s'assure que nous ramassions la palme requise. Puis c'est lui qui coupe toutes les feuilles à la bonne longueur, il ne me reste plus qu'à les coudre...

30 octobre, Fowl Cay Reserve

Nous profitons d’un temps calme pour visiter un massif de corail, dans ce tout petit parc marin. Heureusement qu’il y a des bouées pour l’annexe, car c’est trop profond pour ancrer la barque et, de ce côté-ci des iles, plus rien ne protège de la houle océanique. C’est avec un grand plaisir que Jacques et moi retrouvons la beauté des coraux, des gorgones et des poissons multicolores. Il faut croire que nous n’en avons pas encore vu assez. Les iles antillaises offrent certainement des attraits, mais verrons-nous ailleurs une mer aussi belle que celle des Bahamas? Serons-nous déçus des fonds marins à venir?

Sylvain et Gaétan refusent de descendre de l’annexe, ce qui me fâche. « Si vous ne faites pas d’effort pour les activités qui nous plaisent, je ne ferais pas d’effort pour celles qui vous plaisent. Moi, je n’en ai rien à faire d’Halloween. » Je n’aurais pas dû dire ça, j’étais en colère. C’est toujours frustrant quand on a l’impression que les enfants ne réalisent pas la chance qu’ils ont. Ce n’est pas faute d’essayer de leur faire comprendre...

31 octobre, Marsh Harbour

Nous marchons en quête d’un supermarché. Il fait chaud malgré le vent, la rue goudronnée est achalandée et il n’y a pas de trottoir. Nous sommes vendredi après-midi, c’est l’heure de pointe, et nous avons vu au moins deux feux de circulation, il y a tout de même 4 000 habitants! Aucune maison n’est décorée pour Halloween, mais nous visitons un magasin rempli d’enfants déguisés. Nous nous renseignons auprès d’une femme accompagnée de ses deux jeunes enfants. Elle nous explique que, du fait de sa religion, elle ne fête pas Halloween. Elle nous convie à la fête de son église, où l’on distribuera des bonbons aux enfants. Non merci, c’est très gentil. Voir comment une autre culture passe l’Halloween a un intérêt certain, mais l’idée d’assister à un prêche en anglais nous rebute trop. Nous marquerons donc le coup entre nous, sur le Chantemer.

Dans la moustiquaire de table, les bonbons ont remplacé les insectes. Gaétan avait suggéré de faire une pluie de bonbons, il l’aura. Les déguisements sont enlevés sitôt les photos prises, mais peu importe. Le plaisir qu’ils ont eu à les concevoir et à aider à leur réalisation justifie le temps passé. Un repas spécial enfants, des bonbons sans restriction et une partie de Uno en famille, voilà de quoi leur donner une soirée inoubliable. Sur un bateau, alors que la vie de tous les jours est extraordinaire par rapport à celle que nous avons connue jusqu’ici, un rien suffit à contenter les enfants, à les sortir de ce nouvel ordinaire.